L’intelligence artificielle dans la mire des policiers québécois
L’intelligence artificielle fait rapidement sa place dans tous les milieux professionnels et celui des policiers n’y échappe pas. Le sujet a d’ailleurs été au cœur des discussions des chefs de police de la province qui se sont réunis à Rivière-du-Loup dans le cadre du 26e colloque de l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ), du 3 au 5 juin.
«La gestion et la technologie à l’ère de l’intelligence artificielle», voilà le thème de ce grand rendez-vous qui a rassemblé plusieurs centaines d’intervenants, des chefs de services policiers, mais aussi des partenaires du domaine juridique, à l’Hôtel Universel.
«C’est un sujet qui fait partie des discussions actuelles et qui s’est imposé de façon naturelle», a confirmé Pierre Brochet, président de l’ADQP, vice-président de l’Association canadienne des chefs de police et directeur du Service de police de Laval.
«On trouvait que c’était très important de faire le point, d’avoir une réflexion commune à ce sujet-là. Où allons-nous avec ça? Comment est-ce qu’on gère [les avancées technologiques fulgurantes]? L’IA crée des opportunités d’efficience pour les services de police, mais aussi beaucoup d’opportunités pour les criminels. Aujourd’hui, c’est un moment de réflexion, avec des experts, pour qu’on puisse préparer l’avenir», a-t-il expliqué.
APPLICATIONS
Les policiers sont d’avis qu’ils doivent avoir à leur disposition les outils de travail nécessaires pour garder leurs capacités d’agir contre les réseaux criminels, les groupes extrémistes et les fraudeurs qui intègrent maintenant les nouvelles technologies à leurs façons de commettre des crimes.
Au niveau de la fraude, notamment, les malfaiteurs utilisent l’intelligence artificielle pour cloner des voix, truquer des images et des vidéos, recopier des courriels, usurper l’identité, créer de faux documents, manipuler les réseaux sociaux et même contourner des systèmes de sécurité.
Pour les agents de la paix, les applications potentielles de l’intelligence artificielle sont aussi multiples. L’analyse de données numériques, l’analyse de vidéos de surveillance, la surveillance sur les réseaux sociaux et même l’aide à l’interrogatoire ne sont que quelques exemples.
L’intelligence pourrait même être utilisée pour prédire des crimes et événements potentiellement dangereux. Cette approche, appelée «analyse prédictive», est d’ailleurs déjà utilisée aux États-Unis et ailleurs au Canada.
«Actuellement c’est vraiment au niveau de l’analyse automatique de données, et non pour la collecte de données, que l’IA pourrait jouer un rôle important», a soutenu M. Brochet.
Il donne l’exemple d’un délit de fuite mortel survenu à Laval, il y a deux ans. Plus de 350 heures de visionnement vidéo ont été réalisées durant l’enquête afin de localiser la personne et son parcours.
«Est-ce que l’intelligence artificielle, en intégrant une description du véhicule par exemple, pourrait réduire ça à 20 heures? On pourrait accélérer de façon incroyable les enquêtes», a-t-il indiqué, rappelant que le temps est une variable importante dans la résolution d’un crime.
«Parfois, on peut saisir 20 téléphones cellulaires différents pour une perquisition en matière de fraude. On sait que ce sont de petits ordinateurs qui contiennent un grand nombre de données. Avec l’intelligence, notre capacité à aller chercher des données est appelée à s’améliorer grandement», a-t-il renchéri.
Dans toute cette discussion, les policiers demeurent toutefois pragmatiques : il y a des limites et des défis associés à l’utilisation de l’IA. Celle-ci soulève des risques pour les libertés individuelles et des préoccupations éthiques. C’est pourquoi un cadre légal devra être développé.
L’objectif n’est pas non plus de se défaire du facteur humain, a-t-il précisé. «L’IA doit soutenir le travail du policier et non de substituer à son expertise.»
Un expert, Laurent Charlin, directeur scientifique à l’Institut québécois d'intelligence artificielle (Mila), croit aussi que la course à l’armement n’est pas la meilleure approche, à long terme.
«Si les fraudeurs créent de fausses images, faut-il créer un détecteur pour les identifier? Je pense que ce n’est pas la bonne façon de faire. À court terme, ça peut être efficace, mais ça ne se terminera jamais. Je pense qu’il faut voir de façon plus globale, plus holistique, et se demander comment l’utilisation peut être encadrée.»
Le milieu de l’intelligence artificielle évolue à une vitesse folle. Les services de police doivent demeurer vigilants et alertes, confirme Pierre Brochet. Ce n’est donc certainement la dernière discussion qu’ils auront à ce sujet.
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