Conducteur de bétonnière à 80 ans
La retraite attendra bien encore un peu
Quand il regarde dans le miroir de sa vie, Gaétan Thériault aperçoit la longue route qu'il a parcourue au fil de ses huit décennies. Mais c'est le regard tourné vers l'avenir que l'octogénaire à l'emploi de Béton provincial mène sa bétonnière.
Pour celui qui est affectueusement surnommé «pépère» par ses collègues, les mantras liés à la «Liberté 45» et à la retraite hâtive n'ont rien d'attrayant. Le chant des sirènes, de sa sirène, cet appel qui le fait entrer au travail alors que le soleil lui-même n’est pas encore levé, c'est celui de sa nouvelle bétonnière dont il prend un soin jaloux.
«J'ai été livreur de pain quelque chose comme 30 ans à Rivière-du-Loup. À la fin, j'aimais moins ça, on faisait des maisons privées et les livreurs, y en avait moins. Alors j'ai commencé ici, à 50 ans, et je n'avais même pas mes licences pour chauffer ça», raconte M. Thériault en pointant la bétonnière du doigt. Qu'à cela ne tienne, il a suivi ses cours. Et comme il arrive parfois dans les belles histoires, l’amour n’était pas loin.
«Ça fait 30 ans, tu sais, et je suis toujours aussi pâmé sur les camions. Les “loadeurs” aussi j’aime ça. Je ne fais pas ça [travailler] par misère, moi, je fais ça par amour. J’t’en amour avec mon camion, celle-là, dit-il en pointant une bétonnière immaculée, est flambant neuve…»
Soudainement, ses yeux, envahis par l'émotion, se troublent. «Pépère» fait un pas de côté, retire ses lunettes de soleil et passe lentement sa main sur son visage. Le geste n’est pas lourd, le cœur non plus, il incarne plutôt la mesure qu’il prend de sa propre chance. Comme un enfant dans son carré de sable qui reçoit un nouveau camion jaune.
Ses yeux s’illumineront aussi lorsqu’il parlera de sa conjointe Hélène Castonguay, de sa fille Manon et de ses petits-enfants Maude, Audrey et Simon. Mais pour l’instant, l’heure est au travail.
«Les journées, je ne les vois pas passer. Ça fait 30 ans que je suis ici et j’ai tout le temps hâte d’arriver et de commencer», mentionne Gaétan Thériault. Et où se voit-il dans cinq ans ? «Si ma santé me le permet, je vais être encore là, mais je sais que ça va finir par baisser, han. Mais la santé est bonne dans la famille, j’ai un frère qui conduit des vannes à 82 ans et un autre qui est électricien», répond-il.
Lors de la rencontre, il terminait le nettoyage de sa bétonnière. Il se réjouissait des nombreuses caméras qui ceinturent le véhicule et lui assurent une percée visuelle dans les angles morts. Les chantiers où doivent circuler ces poids lourds ne sont pas exempts d'obstacles.
Quant à l’ambiance au travail, la présence de l’octogénaire est appréciée tant des patrons que des collègues, une affection palpable. «On “run” main dans la main. On est comme des camarades, même s’il y en a des plus chialeux [rire], c’est une belle fraternité. Et les patrons, ils m’aiment bien et moi aussi je les aime», confie-t-il.
Mais rester à la maison, à se tourner les pouces ou marcher en rond, il le dit d’emblée, il en est incapable. «Ici, je me sens utile dans quelque chose. Et tu sais quoi ? Ça me fait de nouvelles histoires à raconter», lance en riant «Pépère».
Et si on comprend rapidement qu’il n’a pas la langue dans sa poche, on devine aussi qu’il préfère les nouvelles histoires au radotage.
Difficile donc de ne pas croire Gaétan Thériault lorsqu’il parle de sa passion. Une passion qu’il ne délaisse que deux semaines par année… pour la chasse.
«Ah j’aime ça. Je ne veux pas me vanter, mais je suis assez bon tireur. Je ne mens pas, je dois avoir 40 orignaux de tués», lance-t-il, le regard fier. Avec raison, sa renommée dépasse celle de son cercle d’amitié. Il faut savoir que M. Thériault est à l’origine du Club de tir à la volée situé à Saint-Modeste.
BÉTON PROVICIAL
Béton provincial détient six usines au Bas-Saint-Laurent, soit à Rivière-du-Loup, Trois-Pistoles, Rimouski, Matane, Lac-au-Saumon (Amqui) et Sainte-Anne-des-Monts. L’usine de Rivière-du-Loup pourrait même battre son record de volume en 2023. Un résultat qui s’explique par la présence de projets d’envergure.
«Il y a bien évidemment la poursuite de tronçons sur l’autoroute 85, mais il y a aussi la nouvelle école du parc Cartier et le projet de Medway à Rivière-du-Loup», souligne le gérant régional des usines de Béton provincial au Bas-Saint-Laurent, Dominic Rhéaume.
Pour lui, l’apport de Gaétan Thériault est inestimable, plus encore en période de pénurie de main-d’œuvre. Les qualités intrinsèques de l’octogénaire, ses valeurs, sa bonne humeur, son entrain, mais aussi avec des qualités indispensables à tout bon employé comme sa résilience, sa ponctualité et sa fiabilité font du conducteur un précieux atout.
Ainsi, à l’embauche de nouveaux conducteurs, l’expérience de Gaétan Thériault est mise à profit. Facile d’approche, il agit comme un tuteur pour les nouveaux. «On ne laisse jamais un nouveau conducteur seul et Gaétan, comme d’autres conducteurs d’expérience, sont mis à profit. Tout le monde le respecte, ça part de l’entreprise, aux collègues, mais aussi par les entrepreneurs», souligne M. Rhéaume.
«Travailler avec le sourire comme ça en 2023, même quand on termine tard sur des chantiers comme les coulées de l’autoroute 85, on l’apprécie et c’est contagieux!», poursuit le gestionnaire.
La retraite peut donc attendre encore, Gaétan Thériault n’est pas pressé, son employeur non plus.
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