Insécurité alimentaire
Les demandes explosent au Carrefour d'Initiatives Populaires de Rivière-du-Loup
Au fil des ans, le visage de la faim s’est métamorphosé dans la région et la pandémie n’a fait qu’accentuer cette transformation. L’inflation et la crise du logement qui ont suivi ont entrainé de plus en plus de ménages dans l’insécurité alimentaire et le Carrefour d'Initiatives Populaires de Rivière-du-Loup, à titre de ressource de première ligne, est aux premières loges.
Avec le plein emploi au Bas-Saint-Laurent, il serait légitime de s'attendre à un recul de la pauvreté, mais la réalité observée sur le terrain est toute autre. Les services de dépannage et de récupération alimentaire de l’organisme ont rejoint pas moins de 1 040 personnes... en mars seulement !
Il s’agit d’une hausse de 400 % en 5 ans et de 800 % sur une période de 10 ans. Les mois plus achalandés sont mars et septembre, mais ceux où les denrées se font plus rares sont avril et mai.
L’an dernier seulement, le Carrefour a accueilli 1 247 nouveaux utilisateurs. Ce chiffre indique le nombre de personnes qui se sont présentées à l’organisme et non le nombre total de gens aidés, pensons notamment aux familles. «Une maman qui se présente compte pour une, mais derrière il peut y avoir un conjoint et des enfants», précise la directrice générale de l’organisme, Karine Jean.
Quant aux facteurs qui incitent les utilisateurs à avoir recours à l’aide, plusieurs se rejoignent. «Le prix des logements, le cout du panier d’épicerie, mais aussi les problématiques de santé mentale qui sont à la hausse depuis quelques années, l’isolement aussi. On avait des gens qui étaient réseautés et qui sont maintenant isolés. Même si quelqu’un travaille, il n’est pas à l’abri de la pauvreté», observe Mme Jean.
Cette dernière estime que 25 % des usagers du dépannage alimentaire sont des travailleurs, un taux inhabituellement élevé. C’est le double qu’à pareille date l’an dernier. De ce nombre, 72% des travailleurs utilisant les services de l’organisme ont un revenu annuel familial inférieur à 50 000 $.
LES INCOMPRESSIBLES
Cette précarité financière entraine des choix cornéliens pour plusieurs. Des choix qui sont forcés par ce que l’on désigne comme des dépenses incompressibles et dont l’une des principales échappatoires est de couper dans l’épicerie.
«On est lié par contrat à notre loyer, à notre forfait téléphonique, à notre abonnement Internet, aux frais de location ou de paiement de notre véhicule. Les gens coupent donc là où ils ne sont pas liés et souvent c’est l’épicerie. On coupe les légumes et les fruits qui coutent cher, la viande aussi», explique Mme Jean.
La quête de nourriture devient quotidienne et le Carrefour apparait comme un phare en pleine nuit. Les jours où le comptoir alimentaire est ouvert, en moyenne, 350 personnes s’y présentent. Selon les chiffres présentés par l’organisme, la moitié des demandeurs d’aide alimentaire sont des personnes qui vivent seules, 22% sont des familles avec enfants, 60 % sont des adultes de 31 à 64 ans et 15 % sont des ainés.
La faim et le réfrigérateur vide ne font pas bon ménage. La gestionnaire confirme qu’il s’agit là d’une situation anxiogène. «C’est terrible, lance Karine Jean. C’est une situation stressante et angoissante. On accueille parfois des gens en pleine détresse. Il faut savoir composer avec eux. La faim, être affamé, ç’a des répercussions sur la santé mentale», prévient la directrice générale.
L’un des buts avoués de l’organisme est donc de permettre aux utilisateurs de s’affranchir des services d’urgence et de gagner en autonomie. «Ce qu’on souhaite le plus possible avec notre mission qui est, oui de répondre aux enjeux de sécurité alimentaire, mais aussi d’amener les gens à l’autonomie [alimentaire]. On souhaite que ces personnes viennent nous voir une fois par semaine, c’est un peu comme l’épicerie, ils prennent ce dont ils ont besoin», explique Karine Jean.
FINANCEMENT
Ce service permet aux utilisateurs d’épargner entre 15 et 50 $ sur leur épicerie. Mais le Carrefour c’est bien plus, c’est une façon de briser l’isolement, la solitude, de se réseauter à nouveau. C’est un pas vers l’affranchissement.
Pour y arriver, le Carrefour d’Initiatives Populaires de Rivière-du-Loup a besoin de support. L’organisme est en quelque sorte victime de son succès et la demande, on le voit, a explosé ces dernières années.
«C’est pourquoi nous croyons que les organismes doivent bénéficier d’enveloppes budgétaires récurrentes en soutien à la mission, mais aussi d’un financement diversifié pour maintenir les services.» Mme Jean rappelle que la pause au Plan de lutte 2017-2020, comme l’ont vécu de nombreux organismes, a eu des impacts qui ont favorisé l’enlisement de ménages dans la pauvreté.
Le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux représente environ 21% du budget annuel de l’organisme. C’est peu, selon les intervenants, et c’est l’une des raisons qui poussent l’organisme à chercher à diversifier son financement. C’est pourquoi les sommes recueillies pendant les ponts du partage (voir autre texte), le Grand McDon et les autres activités jouent un rôle crucial pour le Carrefour.
Karine Jean interpelle donc les citoyens corporatifs de la MRC de Rivière-du-Loup à devenir des collaborateurs de l’organisme, à jouer un rôle d’acteur dans la lutte à l’autonomie alimentaire.
«Si vous avez l’opportunité de donner un peu plus, de participer à la récupération alimentaire, je vise ici les grandes bannières qui ont un rôle à jouer, mais aussi le citoyen qui veut venir partager une partie de la récolte de son jardin, vous ferez une différence.»
Si la directrice de l’organisme continue de travailler sur un plan d’autofinancement, la main est tendue. Alors que les appels à la consommation locale ont résonné ces dernières années, le Carrefour d’Initiatives Populaires de Rivière-du-Loup s’inscrit directement dans cette perspective, celle d’une économie circulaire qui agit pour le bien commun à long terme.