Quand la passion devient un boulet à la cheville
Jean-Sébastien Marquis est propriétaire de sa propre ferme laitière depuis trois ans à Saint-Louis-du-Ha! Ha!. À l’époque, l’occasion était d’or de travailler dans l’agriculture et d’avoir sa propre entreprise, tout juste à côté de celle qui l’a vu grandir et où il est tombé en amour avec le domaine. Aujourd’hui, il ne cache pas que les défis sont nombreux et il se demande parfois s’il ne s’est pas «mis les pieds dans les plats». Mais malgré tout, il préfère penser au positif.
Le jeune producteur du Témiscouata était présent à l’Hôtel Levesque de Rivière-du-Loup, le 18 avril, à l’occasion d’une rencontre avec la Fédération de l’UPA du Bas-Saint-Laurent. En après-midi, il était sur place lorsque des collègues producteurs ont partagé leur réalité difficile, demandant du même coup aux élus de les écouter et de les aider. Maintenant.
Jeune passionné de la relève, Jean-Sébastien Marquis peut lui aussi témoigner du sombre horizon qui guette les producteurs, si rien ne change. La pression financière est forte, pratiquement insoutenable, en ce moment. Il ne s’en cache pas.
«C’est important d’en parler. C’est important de se soutenir et de faire des rencontres comme celles-ci pour tenter de changer les choses», a-t-il partagé.
À l’été 2019, le voisin de la ferme de ses parents leur a proposé d’acheter son entreprise puisqu’il n’avait pas de relève. L’offre qu’il soumettait alors était une belle opportunité pour l’ainé de la famille, puisque ses parents étaient encore jeunes et que son frère et sa sœur souhaitaient eux aussi reprendre, un jour, la ferme familiale. La proximité amenait beaucoup d’avantages et un avenir prometteur, se disaient-ils.
Après avoir analysé la situation sous tous ses angles, il a amorcé le processus de transfert. Il a décidé de faire le grand saut.
«Quand le voisin s’est mis à vendre, je me suis dit que j’allais me lancer tout seul et y aller à fond. Mais aujourd’hui, parfois, je me demande si je me suis mis les deux pieds dans les plats», a-t-il confié avec beaucoup d’humilité.
«J’ai l’entreprise depuis 3 ans, mais je crois que j’ai seulement 6 jours de congé. Parfois, ça devient dur, ça devient lourd. C’est la réalité. Heureusement, je suis bien entouré. Je suis chanceux à ce niveau-là.»
Dès son acquisition, Jean-Sébastien Marquis a investi beaucoup dans sa nouvelle ferme qui, de son propre aveu, avait besoin d’amour. En agriculture, dit-on, il faut investir pour avancer. Une expression à laquelle il croit beaucoup.
«Les trois premiers mois, je payais avec ma carte de crédit personnelle. Je ne réussissais pas à prendre le dessus. À un moment donné, j’ai réussi, mais les couts des intrants ont bondi, les taux d’intérêt ont monté drastiquement, alors j’ai été obligé de m’endetter de nouveau.»
«En ce moment, c’est serré. Avant chaque achat, je regarde où j’en suis», a-t-il imagé.
Il ne regrette pas d’avoir foncé, mais il convient que les défis sont importants. Et ils vont bien au-delà des impondérables «habituels» auxquels les producteurs agricoles doivent faire face.
«On travaille tous les jours avec du vivant, avec Dame nature. On peut perdre de l’argent sans que ce soit de notre faute quand on pense à la mortalité animale, aux tempêtes qui détruisent les récoltes ou encore aux sécheresses. Juste ça, ce sont des enjeux importants qui demandent des réinvestissements», a-t-il énuméré.
«Maintenant, tout le reste qui nous tombe dessus, ça s’ajoute à ça.»
Comme l’Union des producteurs agricoles (UPA), il est d’avis que les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités et venir en aide aux producteurs. En ce moment, 24 % des entreprises agricoles bas-laurentiennes ont une «mauvaise ou une très mauvaise santé financière», selon un récent sondage de l’UPA. Plus de 50 % des producteurs agricoles anticipent également une détérioration de leur santé financière au cours des 12 prochains mois.
«On a besoin de liquidités, mais pas juste ça. L’impact des taux d’intérêt élevés, c’est énorme et il faut que ça baisse. Il faut que quelque chose change. Ce n’est pas quelques milliers qui nous manquent chaque année, ce sont des dizaines de milliers», a souligné le propriétaire de la Ferme du Ha! Ha!.
Pour de nombreux producteurs agricoles, l’agriculture est une grande passion. Mais ce n’est plus suffisant, a d’ailleurs rappelé la Fédération de l’UPA du Bas-Saint-Laurent. «Nous sommes passionnés, mais quand la passion nuit à ta santé mentale, à ta santé physique. Que tu ne peux plus sortir ou voir des amis… Ce n’est plus une passion, ça devient un boulet qui te traine vers l’arrière», a reconnu le producteur agricole.
BIEN S’ENTOURER ET RESTER POSITIF
À 26 ans, Jean-Sébastien Marquis, comme d’autres producteurs, vit toute une crise dans son milieu. Pourtant, il réussit à garder une belle attitude. «Il faut que tu gardes le sourire, sinon tu vas te planter sur le nez. Si tu regardes seulement ce qui va mal, tu vas tomber. Il faut essayer, justement, de se soutenir ensemble et de s’encourager», a-t-il confié.
Découragerait-il un jeune entrepreneur passionné à se lancer comme producteur agricole aujourd’hui? «Non, mais c’est certain qu’il faut qu’il ait les reins solides. Il faut aussi qu’il puisse compter sur quelqu’un pour l’aider. Pas seulement pour l’accompagner au début, mais aussi pour le soutenir quand ça n’ira pas.»
Il cite sa situation en exemple. «Mon entreprise n’aurait pas survécu si mon père ne m’avait pas donné un petit coup de pouce.»
La relève est mise à rude épreuve, mais elle est résiliente. Jean-Sébastien Marquis en est la preuve. Elle aura toutefois besoin d’aide pour continuer, et elle espère que celle-ci viendra plus tôt que tard.
Plus tôt que trop tard.
1 commentaires
bonne chance jean sebastien