Une santé mentale éprouvée au KRTB
L’unité psychiatrique du Centre hospitalier régional du Grand-Portage (CHRGP) de Rivière-du-Loup déborde. Sur 21 lits disponibles, 25 patients sont présentement admis. Conséquence des dernières années de pandémie, du début de la guerre en Ukraine, de la hausse du cout de la vie, de la crise du logement… la liste des facteurs de stress perçus chez la population du KRTB, déjà longue, continue de s’allonger.
En 20 ans de pratique, Dr Jean-François de la Sablonnière, n’a jamais observé une telle situation. «C’est comme ça de façon incessante ou presque depuis deux ans. […] On est tout le temps à pleine capacité». La première «vague de santé mentale» est arrivée entre 8 et 10 mois après la premières vague épidémiologique et depuis, le docteur estime que les lits sont pleins 95 % du temps.
«Ce qu’on semble observer, c’est qu’il y a davantage de problèmes de santé mentale dans notre population depuis ces évènements de stress-là», soutient Dr Jean-François de la Sablonnière, médecin psychiatre et chef du service de neurostimulation et traitement alternatifs des troubles résistants au CHRGP. Il rapporte qu’au début de la pandémie de COVID-19, peu de cas de problèmes de santé mentale étaient répertoriés, mais qu’une étude réalisée par l’Université de Sherbrooke en 2021 a démontré l’augmentation de la détresse chez les jeunes de 12 à 25 ans. Selon les données, près d’un jeune sur deux a vécu des symptômes de dépression ou de troubles anxieux, un résultat frappant, d’après le psychiatre.
Un des maux générationnels favorisant cet état se trouve dans la mésinformation, avance Dr de la Sablonnière. L’explosion de l’accès à l’information et la capacité de communication instantanée, énumère-t-il, cultivent le malheur des internautes à la recherche de bénéfices, de popularité ou d’adhésion. «La curiosité humaine va être suscitée plus facilement avec des mauvaises nouvelles que des bonnes. Donc les réseaux sociaux carburent à ça, puis nous amènent à avoir une espèce curiosité pathologique pour des choses qui sont plus négatives et certains l’utilisent pour propager des mauvaises nouvelles ou des idées haineuses, choquantes ou encore des fausses nouvelles.» D’après le rapport d’un comité d’experts du Conseil des académies canadiennes «Ligne de faille» publié le 26 janvier, la mésinformation durant la pandémie a couté 300 M$ au Canada. Près de 3000 morts et 198 000 cas de coronavirus auraient aussi pu être évités.
DROGUES
Dr Jean-François de la Sablonnière continue aussi de percevoir un enjeu en lien avec la consommation de drogues. Cependant, «une des choses qui est relativement nouvelle au Bas-Saint-Laurent, c’est la contamination des substances consommées».
Ainsi, davantage de surdoses enregistrées sur le territoire sont causées par la présence d’opioïdes dans de l’amphétamine, provoquant la dépression du système nerveux central chez des patients atteints. Selon le médecin, cette problématique est un risque de santé publique qui affecte la santé mentale. «Ce qui est merveilleux quand on traite la dépendance aux opioïdes, quand on utilise des traitements agonistes pour la traiter que ce soit par la prise d’endorphines ou de méthadone, les conduites antisociales, les comportements antisociaux qu’on retrouve chez ces utilisateurs, disparaissent chez 50 % des gens.»
L’IMPORTANCE D’EN PARLER
Le 25 janvier dernier a eu lieu la journée «Bell cause pour la cause» pour une 13e année. «Bell a décidé de prendre comme mission la santé mentale. Il faut saluer ça! Ils ont été responsables de l’investissement de plus de 150 M$ jusqu’à ce jour en santé mentale directement dans la communauté», s’exclame le médecin spécialiste. Ce mouvement fait une différence phénoménale dans la vie des personnes atteintes de troubles mentaux, souligne-t-il. Il permet à la fois aux hôpitaux de mettre la main sur des appareils permettant d’aider les patients, comme ça a été le cas pour le CHRGP en 2017 pour l’acquisition d’une machine de stimulation magnétique transcrânienne répétée (rTMS), ainsi que de déstigmatiser les problèmes de santé mentale.
Selon Dr Jean-François de la Sablonnière, parler de santé mentale à l’aide de personnalités connues du public aident à déconstruite les tabous autour de ces troubles qui touchent 20 % de la population.
Concernant la Semaine de la prévention du suicide qui se déroule du 5 au 11 février pour une 33e édition, le psychiatre est sans équivoque : «Parler du suicide, ça ne cause pas de décès. Parler du suicide, ça ne tue personne. Parler du suicide, des idées suicidaires, de la détresse, ça nous rend juste plus humains, ça nous permet de nous rapprocher de nos vulnérabilités et de trouver des solutions».
«Lorsqu’on se met la tête dans le sable et qu’on essaie de nier un problème, il nous gruge de l’intérieur. C’est un peu le même principe qu’avec un boyau d’arrosage: si on essaie de mettre son pouce dessus, ça fait juste éclabousser davantage. Quand on empêche un mouvement de détresse d’être présent, quand on veut le retenir, quand on ne l’accepte pas, il ne fait que nous éclabousser et faire plus de dommages», image le psychiatre. En acceptant sa détresse, sa condition, ses besoins et en parlant de ses problèmes, cela permet d’arrêter d’être seul avec ses idées noires et de commencer à trouver des solutions pour aller mieux.
L’idée du suicide, d’après Dr de la Sablonnière, n’est pas dangereuse puisque la psyché indique que quelque chose doit changer. «Ce qui tue, c’est le geste, le comportement. Quand on a un comportement suicidaire, on va chercher une solution permanente à un problème qui est temporaire, se désole-t-il. C’est extrêmement grave parce que cette situation permanente, elle, est lourde de conséquences». En effet, un suicide affecte en moyenne 40 personnes, une perte épouvantable pour la communauté qui cause une source de détresse et des problèmes de santé mentale, d’après le médecin.
En parler, c’est commencer à remédier à la détresse, commencer à aller mieux. Le reconnaitre, chercher de l’aide et cultiver la gratitude, la compassion et la bienveillance sont des voies vers lesquelles se tourner afin de guérir des maux qui sévissent dans la société actuelle.