Normande Bossé et ses 136 enfants
Condamnée à ne pas avoir d’enfants biologiques en raison de graves problèmes de santé, Normande Bossé était loin de se douter qu’elle élèverait pas moins de 136 enfants dans sa grande maison ancestrale de la rue du Patrimoine à Cacouna. Pendant 26 ans, elle et son conjoint, Yvon Desjardins, ont donné sans compter afin de permettre à plusieurs jeunes hommes de connaitre un meilleur sort en les recevant sous leur toit, en famille d’accueil.
Atteinte du syndrome du Vogt-Koyanagi-Harada, une maladie rare qui s’est attaquée à ses yeux, elle a subi une importante baisse de sa vision au début de la vingtaine. Plutôt que de s’apitoyer sur son sort, elle a transformé cette fatalité en bénédiction pour plus d’une centaine de jeunes hommes qu’elle a accueillis chez elle.
Assise sur une chaise berçante dans l’entrée de son appartement sur la rue du Patrimoine à Cacouna, elle partage ses souvenirs d’une période qu’elle avoue avoir été difficile, mais riche en apprentissages. «Avec toute la maladie que j’ai eue, je suis tombée dans la cortisone et j’ai été opérée pour les deux hanches à 23 ans. Les médecins m’ont bien avertie que je ne devais pas avoir d’enfants», raconte-t-elle. Normande Bossé s’est mariée à l’âge de 26 ans avec Yvon Desjardins et quatre ans plus tard, ils ont adopté leur fils, Sébastien.
«J’ai eu le gros lot, il était hyperactif, il n’écoutait pas et il avait un trouble de l’attachement. C’était difficile pour lui à l’école. Je me suis dit qu’on pourrait prendre un autre enfant en famille d’accueil qui avait de petits problèmes aussi et qu’on pourrait gérer les deux en même temps», relate Normande Bossé. Leur demande a été acceptée par le CSSS. De fil en aiguille, ils ont accueilli 136 jeunes dans leur demeure, majoritairement des garçons, et parfois deux d’une même famille. La majorité d’entre eux ont quitté leur famille d'accueil à l’âge de 18 ans.
PÉRIODE MOUVEMENTÉE
«Ça n’a pas été facile parce que ce sont des enfants qui viennent de différents milieux. Environ le tiers avaient des troubles de comportements. On en avait d’autres qui étaient sur la ligne du petit bandit. Plusieurs fonctionnaient très bien. Quand ils arrivaient chez nous, ils installaient leurs affaires en haut de la maison et ils ont toujours été fins et polis avec moi et mon mari.» Certains pouvaient rester quelques mois, alors que d’autres ont passé toute leur jeunesse chez Normande Bossé et Yvon Desjardins.
Cette période n’a pas été de tout repos. Elle indique que les familles d’accueil doivent à la fois plaire aux parents, aux intervenants sociaux et aux enseignants. Pour elle, ce sont ces derniers qui lui donnaient le plus de fil à retordre, surtout avec plusieurs jeunes sous sa responsabilité qui présentaient des difficultés d’apprentissage. Un dimanche après-midi, les jeunes en famille d’accueil accompagnés de quelques-uns du village ont cassé une quarantaine de vitres de la grange, située à l’arrière de la maison.
Normande Bossé et son conjoint n’ont pas porté plainte aux travailleuses sociales. «C’est nous qui avions la responsabilité, on s’est occupé de tout réparer […] En réalité, on n’a pas des enfants en famille d’accueil qui sont vraiment mauvais. Ce sont des enfants qui ont parfois été négligés.»
Sur le mur de sa salle à manger sont accrochées des photos de sa grande résidence de la rue du Patrimoine, de son ancien chalet ainsi qu’un portrait d’elle et son mari Yvon Desjardins, décédé en 2019 d’un cancer. «J’étais un peu plus soupe au lait et je déplaçais plus d’air, plaisante-t-elle. Mon mari était d’un calme plat. Ils me trouvaient chialeuse parce que c’était moi qui disais : fais ton lit, fais ta chambre, ramasse-toi, fais tes devoirs, va te laver […] J’ai trouvé ça difficile, mais j’ai aimé ça en même temps. J’avais un tempérament pour cela. Avec ces jeunesses-là, il faut avoir la répartie facile.» Son meilleur souvenir de ses années comme famille d’accueil ? Normande Bossé prend à peine quelques secondes pour réfléchir. «Le moment que j’aimais le plus, c’était les belles grandes tablées de 11 personnes, avec chacun sa place.»
En l’an 2000, alors âgée de 56 ans, Normande Bossé a décidé d’un commun accord avec son mari de cesser d’être famille d’accueil, sa vision et sa forme physique étant de moins en moins au rendez-vous.
RENOUER AVEC LES JEUNES
Certains ont gardé le contact avec elle. Quand arrive le temps des Fêtes, plusieurs jeunes hommes qu’elle a accueillis l’appellent pour lui donner de leurs nouvelles. «J’ai découvert de belles grandes jeunesses. Aujourd’hui ce sont des hommes. Les plus vieux que j’ai gardés ont 51 ans aujourd’hui. Quand je vais décéder, j’ai fait mon testament et ce sont mes jeunes qui vont me conduire à mon dernier repos. J’ai choisi ceux que je pensais qui pouvaient en avoir le plus besoin». Elle indique qu’elle a été incapable de tous les retracer, puisque les numéros de téléphones cellulaires compliquent les recherches. «J’ai découvert de bons pères de famille que j’ai élevés […] J’ai ri beaucoup avec eux autres, mais je me suis choquée des dizaines et des dizaines de fois. Ah mon Dieu !»
Même si Normande Bossé a accueilli plus d’une centaine de jeunes chez elle, elle n’a pas l’impression d’avoir un parcours hors de l’ordinaire. Elle donne même des conseils à ceux qui souhaiteraient emprunter cette avenue. «Pour être famille d’accueil maintenant, ça prend un couple qui est solide. S’il est un peu branlant, c’est certain que les jeunes vont te faire tomber.»
Normande Bossé a ainsi transformé son handicap visuel et son incapacité d’avoir des enfants en influence positive pour une centaine de jeunes hommes qui l’ont côtoyée. Elle s’implique également auprès de l’Association des personnes handicapées visuelles du Bas-Saint-Laurent. Récemment, elle a raconté son histoire lors d’une conférence téléphonique afin de briser l’isolement des membres de l’Association.
8 commentaires
Votre bonté est inspirante.
Bravo à vous deux!
Sébastien aimait bien la pêche. Par contre, je ne savais pas qu'ils en avaient eu autant c'est tout à leurs honneur. Alors, un repos bien mérité à madame Bossé.
Les gens de Cacouna vont se rappeler lorsque l'Halloween arrivait comment s'était extraordinaire la façon dont nous étions accueillis chez elle. Ce sont des moments marquants de notre jeunesse.