Quand j’ai reçu mon affectation pour couvrir la conférence de SkyPower présentant son projet le 5 avril 2006, je n’étais journaliste que depuis quelques semaines. Je me suis présenté à l’Hôtel Universel les fesses serrées, en me demandant ce que j’allais bien pouvoir demander à ces « big shot » de l’éolien. L’énergie verte, c’est vraiment bien, et j’en étais alors totalement convaincu.
Table en « U », carafe d’eau, nappe rouge vin, c’est le festival de la chemise de soie. J’avale ma salive et m’assieds. On projette devant moi, une carte géographique avec l’emplacement des 134 éoliennes du projet Terravents, dont 83 viennent de changer d’emplacement. Je me concentre sur la carte et… bon sang, y a des éoliennes partout! Y en a même une dans les marais de Cacouna (ou du moins à proximité). Y en a aussi tout près de la montagne qu’Énergie Cacouna entend dynamiter. En fait, les éoliennes ceinture carrément le marais.
Et là, je m’entends dire « Et les faucons pèlerins? ». Silence dans la salle. Je respire un bon coup et je fais alors remarquer qu’au moins quatre éoliennes se trouvent dans la zone directe du Marais qui est considéré (à juste titre), de par sa variété des espèces présentes, comme le troisième plus beau site ornithologique du Québec. On me bafouille alors que ce n’est pas grave, « nous les placerons ailleurs ». Wow. Pour SkyPower energy fund (à cette époque), il est plus facile de déplacer des éoliennes de 400 pieds de haut qu’il m’est facile de changer mon sofa de place dans le salon. Ils sont forts.
La semaine suivante, à la séance d’information du BAPE, SkyPower est clair, les éoliennes ne sont plus là, elles sont ailleurs. Quand elles atterriront, dites-nous-le, hein les gars. Bref, SkyPower assure à la population que les éoliennes ont été relocalisées. Pour moi, c’est là que SkyPower s’est planté. 1- Ça ne faisait pas sérieux. Personne n’aime se faire prendre pour une valise. 2- Lors du choix des sites d’implantations des éoliennes, ils ont oublié un petit détail : les résidents. D’ailleurs dans sa première version, 70 éoliennes se retrouvaient à moins de deux kilomètres de la rive du fleuve. Je ne sais pas combien de versions Terravents a connus, mais si la dernière convenait aux élus (maires, conseillers et préfet de la MRC), la population a été bien trop souvent et longtemps échaudée pour avoir confiance. Y a des limites à être cocus!
Avec Terravents plus qu’avec tout autre projet, les bénéfices étaient réservés seuls à l’entreprise, la MRC, aux municipalités et aux cultivateurs. Les autres se sont retrouvés avec l’annonce d’une arrivée de « marguerites » géantes de 400 pieds dans leur paysage. Un schisme s’est donc créé entre les élus, les cultivateurs et les autres résidents. Le prof Chaumel de l’UQAR n’a cessé de le répéter : Pour que l’éolien fonctionne, il doit être socialement acceptable. SkyPower est donc devenu l’exemple à ne pas suivre. Même Steven Guilbault, alors président de Greenpeace Québec, déclarait sur les ondes de Télé Québec lors de l’émission d’affaire publique « Il va y avoir du sport », que Terravents était un mauvais projet.
Le projet suit tout de même son petit bonhomme de chemin. Il se présente au BAPE, se fait sévèrement taper sur les doigts et s’offre quelques séances de lifting. Il devient convenable pour la MRC qui accepte alors de se coucher avec une fiancée qui lui fait un peu moins honte. Le gouvernement Charest signe les décrets et c’est le départ. SkyPower fait son chemin de croix, et délaisse quelques éoliennes et la rentabilité.
Entre-temps, coup de théâtre, SkyPower Corp. présente une soumission concernant l’appel d’offres d’Hydro-Québec. Là encore, c’est le flou. Entre 120 et 240 mégawatts, des éoliennes d’un ou deux mégawatts, et on ne sait pas où exactement les 80 à 160 éoliennes seront érigées… Du SkyPower tout craché. Cette fois-ci, la MRC agit à titre de véritable partenaire. J’ai donc cru que Terravents serait sacrifié sur l’hôtel de l’acceptabilité au profit de ce projet plus « communautaire ». La société-mère rachète Terravents, la CTPAQ accepte l’emplacement de près d’une centaine d’éoliennes, mais rien ne bouge. Les pales restent au quai du port de mer de Gros-Cacouna.
Est-ce la fin? Je ne suis pas dans le secret des dieux, alors je ne sais pas. Est-ce que je le souhaite… Oui. Qu’on fasse table rase et qu’on recommence à zéro. Pourquoi? Parce que la dernière version de Terravents n’est plus du tout représentative de ce que le BAPE a étudié. Je préfère une perte de temps qu’au détournement d’une institution démocratique. C’est tout. Suis-je contre SkyPower? Non. Je n’approuve certainement pas leur méthodologie de travail, mais je ne suis pas contre l’entreprise. Ils ont fait de gros efforts pour réchapper ce projet. Mais ce projet c’est comme le monstre de Frankenstein, c’est « patché » de ci et de ça…
J’aimerais bien pouvoir vous dire si l’entreprise va de l’avant ou non avec Terravents, mais le porte-parole de SkyPower, Yvan Loubier semble avoir perdu mon numéro de téléphone. Dommage, j’aurais bien aimé lui demander s’il pouvait renégocier le prix des mégawatts, car ils se vendent beaucoup plus cher qu’au moment de l’entente avec Hydro-Québec.
Et pour l’éolien, quand je vois les redevances de 7 000 $ offertes ailleurs en région, je me dit que les cultivateurs ne perdront pas au change même s’ils doivent attendre encore quelques années avant de parsemer leur champ de ces grosses marguerites.
D’ici là, nous aurons encore droit aux leçons de morale de ces montréalais branchés, qui de leur ville où la propreté n’est pas une référence nous expliqueront combien « il n’y a presque pas de conséquences sur la vie humaine » (citation de Steven Guilbault). Ces gens branchés pour qui les éoliennes sont de magnifiques moulin-à-vent qu’il faut semer un peu partout pour le bien de la planète et au diable les résidents. Un Blackberry ça se recharge souvent! C’est Don Quichotte qui doit se retourner dans sa tombe.