À propos d'universalité

Eliane Vincent
Je le dis sans sarcasme aucun : le Québec est une société qui prend soin de ses citoyens. J’ai souvent l’impression de mal mesurer la chance que j’ai d’être née ici, où l’on s’assure que, de ma naissance à ma mort, je puisse grandir, m’instruire, choisir ma vie, me soigner, et même mourir dignement si c’est mieux comme ça.
Mais même avec les meilleures intentions du monde, il est difficile de penser à tout. Dans ce billet, je vais m’attarder sur l’un des mécanismes que nous avons mis en place pour assurer ce filet social, le Régime de rentes du Québec, dont j’ai appris récemment les limites.
Il s’agissait au départ d’assurer à chaque citoyen une protection financière de base à la retraite, au décès, ou en cas d’invalidité. On a créé un système public d’assurance pour les travailleurs. Les employeurs et les employés cotisent à parts égales pour créer le capital nécessaire au versement d’une prestation aux retraités. Le contrat social est clair : la rente versée est en fonction des cotisations prélevées, selon une échelle préétablie.
Il est aussi possible, à certaines conditions, de compter sur ce fonds si une maladie grave vous empêche de travailler. Tout ça est imparfait, évidemment, c’est géré par des humains, mais enfin, ça fonctionne pour la plupart des gens.
Et au bout de la vie, il y a une dernière prestation prévue par le Régime : la prestation de décès. Les fameux 2500 $. J’en ai toujours entendu parler comme d’une prestation « qui allait de soi ». Un dernier salut du gouvernement, pour services citoyens rendus, pourrait-on dire, afin que les proches de la personne décédée puissent lui assurer un hommage posthume décent.
On arrive au cœur de mon sujet. Une récente incursion dans le labyrinthe d’une succession m’a appris que cette perception est erronée. La prestation de décès n’est pas une prestation universelle. Elle fait partie du Régime de rentes du Québec, et elle est versée à ceux qui ont cotisé. C’est logique, c’est la base même du système : on cotise, on reçoit des prestations.
L’esprit de la loi
On ne peut qu’être d’accord avec le principe du Régime, qui soutient l’implication des citoyens dans le financement leur propre retraite. Chacun cotise obligatoirement, dès qu’il dépasse un seuil minimum de revenu, ce qui évite une bonne part de la pauvreté chez les aînés.
Mais si, mettons, vous n’avez pas cotisé suffisamment, parce que vous n’avez travaillé que sporadiquement, que la maladie vous a empêché de travailler, que vous étiez conjointe-à-la-maison. Dans ce cas, bien sûr, vous ne recevrez pas de chèque de rentes, et la prestation de décès ne saurait vous être accordée.
Remis à l’endroit, ça signifie que si vous n’avez pas cotisé, il est probable que vous n’avez pas travaillé régulièrement. Il serait donc étonnant que vous soyez riche. Le gouvernement a donc prévu une alternative si vous n’avez pas droit è la prestation de décès. Il s’agit de la prestation spéciale pour frais funéraires, qui vise comme son nom l’indique à aider les proches d’une personne décédée à défrayer les funérailles.
Cette aide est cependant assujettie aux avoirs de la personne décédée. De la prestation maximale de 2500 $ prévue par ce programme, le gouvernement soustrait chaque sou dans le compte bancaire du défunt à son décès, et la valeur estimée de son ménage. Si le défunt était économe, ou s’il possédait une laveuse-sécheuse pas trop âgée, le 2500 $ tombe rapidement à zéro.
Au bout du compte, on se retrouve devant ce paradoxe : si vous avez travaillé toute votre vie, que vous avez cotisé au Régime de rentes, et que vous avez mis de l’argent de côté pour vos vieux jours, peu importe la valeur de votre patrimoine, à votre décès, le gouvernement versera 2500 $ à vos héritiers.
Mais si la maladie ou tout autre aléa vous a empêché de travailler, si vous n’avez pas cotisé dix ans au Régime de rentes, et si vous décédez sans avoir mis d’argent de côté, vos proches devront assumer les frais inhérents à votre décès. Dans cette société où nous tâchons de soutenir les plus démunis, il paraît contre-intuitif de leur refuser une prestation qu’on pourrait croire légitime.
Ce paradoxe ne mérite pas qu’on monte aux barricades. Nous avons collectivement fait le choix d’organiser nos retraites sur le modèle d’une assurance collective, et le Régime de rentes du Québec est un système efficace pour ceux qui y cotisent. Mais il est bon de garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un régime universel. Notre filet social a parfois les mailles un peu larges...
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