Hommage aux bonhommes

Corine de Repentigny
En cette fin de printemps, avez-vous réservé votre bois de chauffage ? Pour les p’tits nouveaux dans le coin — et les cigales — ce n’est pas durant les premières gelées d’automne qu’il faut y penser. C’est maintenant.
Surtout s’il l’a fait tomber lui-même, il est de plus en plus difficile de trouver un bonhomme qui vend du bois. J’ai mis le mot en italique et en gras pour le définir et l’honorer. Le bonhomme est une espèce en péril dans nos campagnes. C’est un hommage que je veux lui rendre par ce texte.
Le bonhomme est un lève-tôt. Même s’il écoute les prédictions, il peut prédire la météo en regardant le ciel,. Ses mains sont usées, calleuses et surtout habiles. Les yeux fermés, il sait limer les dents de sa scie avec ses grosses paluches. Le bonhomme porte souvent une chemise à carreaux. Indécrottable et indémodable, les coudes de la sienne sont probablement rapiécés. L’odeur qui s’en dégage est celle du bûcheron : parfum de résineux, d’huile à chaine et d’effort. Le bonhomme sent le vrai. Baumier numéro 7.
Les arbres n’ont pas de mystères pour lui. Il les reconnait par l’écorce, les bourgeons ou la couleur de la sciure. Les essences ont conservé les noms traditionnels : merisier, plaine, épinette rouge… La forêt est son jardin. Il récolte ici et là, depuis des années, sans jamais planter. Juste en regardant le penchant d’un tronc, il peut prévoir sa chute et calculer l’angle d’attaque. Le bûcheron se trompe rarement. C’est pour ça qu’il est encore en vie !
Lorsque le bois est ramené à la maison, le bonhomme se fait artiste. Il est capable de monter les coins d’une corde avec un talent insoupçonné. Sa rangée de bûches est droite comme un piquet et, pourtant, il n’en a planté aucun pour la faire tenir. Il a le compas dans l’œil et le don pour placer le bon morceau dans le bon trou, guidé par un mélange d’instinct et de fierté. Son travail doit résister à tous les vents et à tous les regards.
De nos jours, la formation de bûcheron s’appelle Abattage manuel et débardage forestier. Dans le temps, ça s’appelait Viens-t’en dans le bois pis j’vas t’montrer.
Mon vieux père de 78 ans adore bûcher. Il dit que le jour où il sera trop magané pour le faire, la vieillesse l’intéressa beaucoup moins. Il rapporte 12 cordes de sa forêt par année depuis 50 ans, en solitaire. Coupe, débitage, fendage à la hache, cordage dehors, cordage dans la cave avec sa brouette. Son père était comptable et lui, ingénieur civil.
Alors, pour ceux et celles qui sont nés sur le béton ou qui sont restés trop longtemps sur les bancs d’école, sachez qu’il n’est pas trop tard pour apprendre. Si vous n’avez pas peur d’une scie à chaine, trouvez-vous un bonhomme pour vous montrer et, de grâce, suivez ses traces afin que ne se perdent ni son savoir, ni sa sagesse, ni ses secrets.
Je dédie ce texte à mon père, Pierre. Je le dédie aussi à Bruno Dubé, décédé récemment. Ses parties de sucre sont inoubliables et son sourire aussi. Le 20 mars dernier, la journée où Bruno est parti, le mercure affichait 15 degrés. Les érables ont coulé à flots et nos yeux ont rempli des siaux.
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