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La faim, il ne faut pas en faire tout un plat *

durée 19 novembre 2023 | 11h33
Pierre Jobin
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Pierre Jobin

Le 8 décembre prochain, j’ai rendez-vous avec l’équipe de Moisson Kamouraska pour aller chercher les paniers de Noël destinés aux familles dans le besoin de notre municipalité. Il y a plus de 20 ans, j’ai participé à ma première opération « Paniers de Noël ». C’était à la demande de l’abbé Alain Lévesque, curé de notre paroisse. La distribution avait lieu dans le local scout. Nous avions donné rendez-vous aux familles à intervalle régulier afin qu’elles ne se croisent pas dans le souci de préserver une certaine confidentialité.

Entre deux livraisons, je me suis mis à pleurer. Pleurer de tristesse devant tant de misère. Pleurer de rage devant ces parents obligés de quêter pour offrir un Noël à leur enfant. Pleurer de colère devant un système qui ne permet pas à toutes et tous de vivre dignement.

J’ai souhaité la disparition de cette tradition des paniers de Noël. J’ai espéré une société où elle ne serait plus nécessaire. Mais en vain.

Le 25 octobre dernier, La Presse titrait : « Un Québécois sur dix a recours à une banque alimentaire en 2023. » Une personne sur dix, oui, vous avez bien lu : une sur dixé « Les banques alimentaires ont aidé 872 000 personnes chaque mois cette année, ce qui représente une augmentation de 30 % par rapport à 2022 et de 73 % par rapport à 2019. C’est donc un Québécois sur dix qui a besoin d’aide pour se nourrir ou pour nourrir sa famille adéquatement en 2023. » (1)

Il y a quelques semaines L’Aut’Journal titrait « Les banques alimentaires crient famine. » (2). Et nous apprenions il y a quelques jours que les millions qui manquent pour combler le besoin des banques alimentaires iront plutôt en subvention aux Kings de Los Angeles. Des jeux, mais pas de pain.

L’augmentation fulgurante du recours aux banques alimentaires peut avoir bien des causes en commençant par la pandémie et l’inflation de ces dernières années. Or l’inflation n’explique pas tout. Elle ne fait que révéler un autre problème plus grave et permanent : l’insuffisance de revenu de trop de Québécois et Québécoises. Et surtout une inégalité croissante des revenus entre les personnes.

Nous pouvons certes nous émerveiller devant tant de générosité à Noël. Nous pouvons applaudir la charité dont témoignent beaucoup de nos concitoyennes et concitoyens en cette période des Fêtes. Mais qu’est-ce que la charité sans la justice. « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice… »

Non, la faim, il ne faut pas en faire tout un plat. Mais il faudrait la transformer en faim de justice. Ne plus taire la colère face à l’injustice. Peut-être passer de la révolte à la révolution.

Ne plus souhaiter Joyeux Noël sans une faim et une soif de justice pour tous et toutes.

    Un grand merci à Jean-Yves Joannette de m’avoir permis d’utiliser une phrase de son texte « Ventre creux » en guise de titre de ce billet. Vous trouverez ci-bas, le texte en question

    Un Québécois sur dix a recours à une banque alimentaire en 2023, La Presse, 25 octobre 2023, https://www.lapresse.ca/actualites/2023-10-25/un-quebecois-sur-dix-a-recours-a-une-banque-alimentaire-en-2023.php
    Les banques alimentaires crient famine, L’Aut’Journal, 3 novembre 2023, https://lautjournal.info/20231103/les-banques-alimentaires-crient-famine,


Ventre creux

Un matin j’ai reçu trois lettres.

La première m’informait que l'Hydro allait me couper

La deuxième m’informait que l’aide sociale allait me couper

La troisième m’informait que le propriétaire allait me poursuivre pour non-paiement de loyer.

Trois lettres, trois lettres, qui m’ont mené à la rue.


Je le sais bien,

La faim, il ne faut pas en faire un plat.

Mais des fois, je pense juste à manger.

Avant quand je travaillais et que j’avais faim,

Je voyais une horloge.

Après sur le BS quand j’avais faim

Je voyais un calendrier.

Dans la rue, quand j’ai faim

Je ne vois plus rien.


Des fois j’ai faim.

Ça me prend comme ça, je ne sais pas d’où ça vient.

Des fois j’ai faim.

Ça me prend comme ça, comme un mal de ventre

Comme une crampe qui se digère mal

Je mets un café dedans. Des fois ça aide à passer

Des fois ça fait plus mal.

Parfois, ça me donne mal à tête,

D’autres fois ça me trouble la vue.

Des fois j’ai faim et j’ai froid, je claque des dents…

Comme si je voulais me rappeler comment mastiquer.


Je déjeune d’un jeûne, je dîne de mépris, et je soupe populaire.

Je me tape des festins de riens, des banquets de pourquoi,

Des ripailles sur la paille, des bombances de souffrance,

Des liesses en serre-fesse.


J’ai toujours les pains vides

La faim faut pas en faire un plat.

Faut penser à autre chose…

Faut se nourrir l’esprit… Il faut faire de l’esprit …


C’est l’histoire d’un ventre affamé à qui l’on parle d’une chance incroyable, d’une occasion en or...

Mais comme son maudit ventre criait, y l’a pas entendu

Y’a manqué sa chance...

Ventre affamé a pas d’oreilles, n’a pas d’oseille.

Faut faire de l’esprit.

C’est l’histoire d’un ventre plein qui rencontre un ventre vide.

Le premier dit à l’autre encore en train de te plaindre à rien faire.

Le ventre vide lui répond :

J’ai assez hâte de faire de la marde.


Faut se nourrir l’esprit… Il faut faire de l’esprit …

La faim…faut pas en faire un plat.

 

 

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