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La voiture est une drogue dure

durée 3 septembre 2023 | 20h09
Pierre Jobin
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Pierre Jobin

Dès ma plus tendre enfance, mon père aurait voulu faire de moi un amoureux de l’automobile. D’ailleurs, il n’était pas le seul. Au risque de tomber dans les théories du complot, j’ose penser que tout concorde à nous rendre dépendant de l’automobile.

Lorsque le ministre Fitzgibbon a déclaré que le Québec devrait réduire de moitié son parc automobile, il a dû causer une commotion dans bien des chaumières du Québec. À tel point que le ministre de l’environnement lui-même a cru bon de minimiser les propos de son collègue. Tout un ministre de l’environnement que ce Benoît Charette!

Dépendance à l’automobile

Cette dépendance prend plusieurs aspects. Le premier est psychologique. L’automobile est l’image de notre personne, le miroir de notre standing social et de notre liberté. C’est souvent cette image que cherche à nous vendre l’industrie automobile à travers la publicité.

Elle revêt également un caractère physique et environnemental. L’apparition de l’automobile a profondément modifié l’espace urbain en plus de faire disparaitre les transports publics qui existaient au début du XXème siècle.

Il y a une soixante d’années, il était possible de vivre dans un quartier de Montréal en utilisant presque uniquement la marche comme moyen de transport. Le travail, l’école, l’église, l’épicerie… pratiquement tout se trouvait à proximité de notre résidence. Sinon, il y avait le tramway et l’autobus pour sortir de son quartier.

L’usage de l’automobile a encombré les rues rendant de plus en plus inefficaces le réseau de tramway. On accuse même les grands lobbys du pétrole et de l’automobile d’avoir sciemment fait disparaître ces grands réseaux de transport en commun électrique entre les années 1930 et 1950.

Les banlieues ont été conçues de telle sorte qu’il est difficile de se passer d’une automobile, que ce soit pour aller à l’épicerie ou avoir accès aux différents services. L’organisation du transport en commun n’y est pas toujours facile.

En l’espace de quelques années, l’espace urbain et l’organisation sociale ont été modelés pour répondre aux besoins de l’automobile à essence.

Et l’automobile électrique

On essaie de plus en plus de nous vendre l’automobile électrique comme la solution. Et pourtant, elle ne règle pas en profondeur les problèmes causés par l’utilisation de l’automobile. Certes, pour autant que l’électricité utilisée par cette dernière est produite de façon à générer très peu de gaz à effet de serre, elle a un aspect bénéfique sur l’environnement. Mais lorsque cette électricité est produite par des centrales au gaz ou pire au charbon, c’est un marché de dupe. Or à travers le monde, c’est souvent le cas. Comme on l’entend de plus en plus souvent, l’automobile électrique n’a pas été inventée pour sauver l’environnement, mais pour sauver l’industrie automobile.

Et qu’elle soit électrique ou à essence, l’automobile coûte cher à produire, occupe beaucoup d’espace et crée de la congestion et de la distance. Nous sommes devenus tellement dépendant de l’automobile que nous avons de la difficulté à voir l’automobile pour ce qu’elle est : une nuisance. Nous payons cher collectivement cette illusion de liberté.

Un monde sans automobile : une utopie ?

Dans nos grandes régions à faible densité de population, nous imaginons assez mal un monde sans automobile et l’idée du ministre Fitzgibbon de réduire de moitié le parc automobile du Québec peut nous apparaître farfelue. Il faut cependant se rappeler que 70% des Québécois et des Québécoises demeurent en milieu urbain et semi-urbain et que c’est dans ces régions qu’il y a de plus grands gains à faire pour réduire le nombre d’automobiles.

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire dans nos régions. Les services de transport interurbains ne cessent de se détériorer alors qu’ils devraient être augmentés et améliorés. Nous n’avons pas ou peu d’alternative pour nos voyages longue distance. Nos régions ont également un grand besoin de transport adapté pour les personnes qui ne peuvent se déplacer en automobile. Certes les défis de transport en commun dans nos régions sont de nature différente, mais ils méritent qu’on y porte attention.

Si nous avons développé une dépendance à l’automobile, c’est en très grande partie parce que l’industrie automobile nous y a conduit et que le paysage urbain a été transformé par l’automobile. Peut-être même que notre esprit a été à ce point colonisé que nous avons peine à imaginer une société et un territoire où l’automobile individuelle serait pratiquement inutile en milieu urbain et semi-urbain et fortement réduite en milieu rural.

Mais pour créer une alternative à l’automobile individuelle, il faudra une forte volonté politique d’une part, pour offrir des alternatives de déplacement et d’autre part, pour développer le territoire autrement.

 

À lire, l'excellent texte d'André Gorz, L'idéologie sociale de la bagnole.

https://cras31.info/IMG/pdf/andre-gorz_ideologie_sociale_de_la_bagnole_.pdf

 

 

 

 

commentairesCommentaires

1

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  • ÉV
    Éliane Vincent
    temps Il y a 8 mois
    Merci de le dire!

    Et il en est de l'automobile comme de tout le reste : on s'ingénie, à grand renfort de publicité, à nous persuader qu'il est essentiel de consommer MIEUX. Mais personne – personne – ne parle jamais de consommer MOINS.

    Et surtout pas nos gouvernements qui, quand un ministre ose affirmer pareille hérésie – même un superministre de l'envergure de Fitzgibbon –, s'empressent de refermer le couvercle sur la marmite de nos indignations... Dormez, braves gens, et surtout, changez de char chaque année!