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L'approche intersectionnelle

durée 26 mars 2023 | 10h43
Pierre Jobin
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Pierre Jobin

Le Québec vient de connaître une nouvelle crise autour d’une notion employée en sociologie : l’intersectionnalité.


Wikipedia en donne la définition suivante : « l’intersectionnalité ou intersectionnalisme est une notion employée en sociologie ou en réflexion politique, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société. Ainsi, dans l’exemple d’une personne appartenant à une minorité ethnique et issue d’un milieu pauvre, celle-ci pourra être à la fois victime de racisme et de mépris de classe » (1).


Or il semblerait que nous avons réussi à créer encore une crise similaire à celle de la notion de racisme systémique. Le concept serait instrumentalisé politiquement pour s’attaquer aux valeurs québécoises. J’ai déjà écrit un billet sur ce que je pensais du concept un peu flou et passe-partout de « valeurs québécoises » et je n’y reviendrai pas.


Le début du psychodrame
Comme chaque année, un parti politique est invité à présenter une motion pour souligner le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Cette année, c’était au tour de Québec solidaire de le faire. Le Collectif du 8 mars qui regroupe des organisations syndicales et féministes représentant environ 800 000 membres a contacté la député Ruba Ghazal, responsable du dossier à QS. Ces femmes ont rédigé une proposition de motion qui a été envoyée à tous les partis politiques de l’Assemblée nationale. Comme le rapporte Le Devoir dans son édition du 22 février dernier, cette motion « visait notamment à ce que l’Assemblée nationale encourage « l’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle afin de défendre les droits de toutes les femmes au Québec »»(2).


En présence des représentants du Collectif du 8 mars et de tous les partis politiques, sauf de la CAQ, la motion est présentée, mais finalement rejetée parce que n’ayant pas l’appui unanime de l’Assemblée nationale. Surprise, « la vision du féminisme de la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, diffère de celle des partis d’opposition »(3).


Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes
Or, il se trouve que la stratégie gouvernementale prévoit justement que le secrétariat à la condition féminine va travailler « à former et accompagner les ministères et organismes en vue d’intégrer la nouvelle démarche simplifiée, des projets pilotes seront également menés pour tester une approche renforcée et actualisée de l’ADS, soit l’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle (ADS+). Le signe mathématique « + » souligne l’intégration de la dimension intersectionnelle comme un ajout renforçant la démarche d’analyse préexistante… L’ADS+ reconnaît que les catégories « hommes » et « femmes » ne sont pas des blocs homogènes et que la position sociale d’une personne est façonnée par une multitude de facteurs identitaires et sociaux en plus du sexe et du genre, dont l’âge, l’orientation sexuelle, l’origine culturelle ou ethnique, l’identité autochtone, la situation de handicap, la situation socioéconomique, etc. » (4).


La Stratégie gouvernementale va même jusqu’à confier un mandat spécifique à la CDPDJ : « La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) élaborera un document de référence sur l’approche intersectionnelle et les discriminations croisées afin de permettre une meilleure compréhension de ces notions en vue d’assurer la réalisation du droit à l’égalité pour toutes les femmes. » (5).


Il y a à peine quelques mois, Isabelle Charest, la ministre responsable de la Condition féminine, se disait très fière de nous présenter cette nouvelle stratégie. Quelques mois après, la nouvelle ministre, Martine Biron ne se reconnaît plus dans cette approche intersectionnelle. Notons que le Parti québécois, par la bouche de Pascal Bérubé, semble également avoir fait marche arrière après avoir appuyé la motion. Que s’est-il passé ?


Instrumentalisation politique
Selon Yves-Francois Blanchet, la concept d’intersectionnalité ferait l’objet d’une instrumentalisation politique : « Les mêmes qui ont le courage de dénoncer qu’on fasse des mots “racisme systémique” une arme contre le Québec doivent se dresser. Les mêmes qui ont le courage de dénoncer qu’on pervertisse l’idée — peut-être valable scientifiquement quelque part — d’intersectionnalité pour en faire une arme contre le Québec doivent se dresser » (6). Le concept serait, ni plus ni moins, utilisé par le Canada et son idéologie « woke » comme une arme contre les valeurs québécoises.


Pour sa part, Jean-François Lisée dans Le Devoir parle d’une prise en otage de la Journée internationale des droits des femmes par la Fédération des femmes du Québec et par Québec solidaire (7).


Le chroniqueur insinue que l’approche intersectionnelle est quelque chose de nouveau dans le mouvement féministe et fait mine d’ignorer que la proposition vient de l’ensemble des membres composants le Collectif du 8 mars. Il est sans doute plus facile de s’attaquer à la FFQ qui a été malmenée ces dernières années qu’à la vaste majorité du mouvement féministe réunie sous le Collectif. Nous devrions alors en arriver à la conclusion loufoque que c’est le Collectif du 8 mars qui aurait pris en otage la journée internationale.


Une prise d’otage politique
Permettez-moi de penser que c’est plutôt certains politiciens et certains chroniqueurs qui ont pris cette journée en otage et qui instrumentalisent le débat sur cette question. Sur cette question, je partage l’opinion exprimée par Rima Elkouri : « Plutôt que d’utiliser l’intersectionnalité pour ce qu’elle est – un outil de réflexion devenu incontournable pour mieux défendre les droits de toutes les femmes sans exception –, on en a fait le nouvel épouvantail du moment, juste à temps pour le 8 mars. » (8).


Que s’est-il passé pour qu’en quelques mois, une notion jugée pertinente par la stratégie gouvernementale devienne soudainement coupable de tous les maux et un outil instrumentalisé politiquement contre le Québec ?


Cherchez l’erreur.



(1)    https://fr.wikipedia.org/wiki/Intersectionnalit%C3%A9
(2)    https://www.ledevoir.com/politique/quebec/782710/des-visions-du-feminisme-s-entrechoquent-a-l-assemblee-nationale
(3)    Ibidem
(4)    Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes:  https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/org/SCF/publications/plans-strategiques/Strategie-egalite-2022-2027.pdf , page 20
(5)    Ibidem
(6)    https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-03-11/intersectionnalite/une-idee-utilisee-contre-le-quebec-selon-le-bloc-quebecois.php
(7)    https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/784026/chronique-la-journee-internationale-des-droits-des-femmes-prise-en-otage
(8)    https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2023-03-08/pour-un-feminisme-a-taille-multiple.php

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