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Jouer ensemble

durée 6 mars 2023 | 08h50
Eliane Vincent
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Eliane Vincent

Depuis la fin de la pandémie – y a pas de oui, mais, elle est pas vraiment finie : à voir l’achalandage dans les aéroports ces derniers mois, la pandémie est certainement finie. Reprenons. Depuis la fin de la pandémie, ma vie est placée sous le signe de la diversité intersectionnelle. Presque chaque jour, les notions d’inclusion, d’identité, d’anxiété, d’intolérance, d’angoisses existentielles s’introduisent dans mes conversations.


J’apprends beaucoup, et je constate à quel point le monde change. Il change d’ailleurs tellement vite, il y a tellement d’exceptions à nos règles de vivre ensemble que je m’y perds, même si j’y mets beaucoup de bonne volonté. Tellement de revendications, tellement de cas particuliers qu’on a l’impression que la notion de majorité est incongrue et non avenue.


Pour faire court, il me semble que nous sommes témoins d’une surenchère de victimisation.


Non pas que je minimise des situations d’oppression réelles. Mais c’est comme si, face à des drames humains réels et justement dénoncés, on réagissait collectivement par une crise de « ouimaismoiaussij’aimal ». Et surtout, nous ressentons le besoin de faire état de l’inacceptable sur la place publique, tout le temps, pour tout et pour rien. Parce que quand l’inacceptable se fait rare mais que l’appel de l’indignation se fait sentir, la moindre contrariété peut faire l’affaire.


Comme un prof qui vous enjoint sèchement de « cesser l’écriture inclusive ». C’est arrivé il y a quelques semaines à une étudiante de l’UQAM dans un cours de science politique. C’est contrariant, c’est vrai, si vous êtes partisansane de ladite écriture. On pourrait même affirmer que c’est condescendant, patriarcal, sexiste, on pourrait exiger un débat avec le prof, voire avec la direction du département, et on aurait raison.


Mais cette semaine, dans le journal, on a appris que la remarque du prof a été perçue comme « super violente ». Comme dans « le génocide au Rwanda a été un événement super violent ». Vraiment? Permettez-moi de reprendre les mots de Patrick Lagacé dans la chronique qu’il a tirée de cette anecdote : notre époque a besoin d’une carapace.


Et encore
J’en étais là de mes réflexions quand j’ai appris les mésaventures de Franck Sylvestre, un artiste de scène, marionnettiste, qui depuis 2009 propose une pièce intitulée L’incroyable secret de Barbe-Noire. Il s’accompagne d’une marionnette qu’il a lui-même conçue et qui lui sert d’alter ego caricatural. Ces derniers temps, il profitait d’un programme du Conseil des Arts pour présenter son spectacle dans des dizaines d’écoles.


Monsieur Sylvestre est noir. Sa marionnette aussi. Sa marionnette est une caricature. Elle n’est pas mignonne. Certains pourraient la trouver grotesque. C’est une marionnette.


Eh bien, c’est mal.


Selon l’Association de la communauté noire de l’Ouest-de-l’Île (WIBCA) et la Coalition rouge, deux groupes de Montréal représentant la communauté noire, un artiste de la communauté noire ne peut pas créer une représentation caricaturale de lui-même et monter avec elle un spectacle pour les enfants. Ceux-ci pourraient en être heurtés. On a réclamé l’annulation du spectacle, et à Beaconsfield, on l’a obtenue. Que disions-nous à propos de carapace?


Juste jouer ensemble
Au risque de paraître insensible, je dis que je demande une trêve. Je demande qu’on se rappelle collectivement que la vie n’est pas un nuage de ouate. Je soupire après la couenne dure.


J’affirme que si un prof un peu cassant est un outrage qui justifie une conférence de presse, il est temps de réagir. Je réclame le retour au débat assumé et argumenté. Je réclame qu’on tempère les réactions épidermiques. J’implore la relativisation des aléas.


J’affirme que si une marionnette est un outrage qui justifie une conférence de presse, il est temps de réagir. Je clame que rire de soi et de ses copains n’est pas outrageant, c’est rassembleur. Je rappelle que tous les humains collectionnent les travers et que les montrer procède d’une saine autocritique. Je revendique que l’intersectionnalité devrait inclure le rire ensemble.


Je dis que s’interdire de rire d’un copain juste parce qu’il n’a pas la même couleur que soi est l’ultime frontière de l’exclusion. Et qu’interdire à un copain de se caricaturer lui-même, peu importe sa couleur, est carrément folie.


Je ne parle pas de harcèlement, je parle de jouer ensemble.


J’ai parfois l’impression que je n’ai plus de repères. Notre nous se fragmente en milliers de petits je susceptibles et fragiles. Les humains ne sont pas si fragiles que ça. Parlez-en aux survivants des vraies horreurs. Ils vous diront que c’est en s’appuyant les uns sur les autres qu’on surmonte les abominations. Pas en s’isolant dans des ghettos culturels, linguistiques, financiers ou politiques.


Nous ne sommes pas fragiles, nous ne sommes pas des victimes. En tout cas pas tout le temps, pas tout le monde, pas pour n’importe quoi.

 

 

 

 

commentairesCommentaires

4

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  • RC
    Raymond Cadrin
    temps Il y a 1 an
    Très bon texte Éliane! Je partage pleinement ton point de vue.
    Oui, il y a vraiment des sensibilités à fleur de peau...qui vont parfois très loin!
    L'identité des genres est particulièrement, de plus en plus complexe, avec les iels....C'est comme, si l'on ne peut presque plus parler de femmes et d'hommes ....
  • ÉV
    Éliane Vincent
    temps Il y a 1 an
    Merci, Raymond.

    C'est comme un balancier : il y avait de l'abus certain, mais là, on semble collectivement avoir le piton d'alerte collé, pour paraphraser Dany Verveine. En parler nous aidera peut-être à retrouver le centre, l'équilibre.
  • MM
    Marie Marchand
    temps Il y a 1 an
    Tellement juste. On ne peut même plus rire de nous- même…..
  • ÉV
    Éliane Vincent
    temps Il y a 1 an
    @Marie Marchand

    Ma grand-mère disait : " Si tu vaux pas une risée, tu vaux pas grand-chose..."

    C'était une philosophe, Laurette!
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