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Il était une fois Simon

durée 23 décembre 2019 | 09h18
  • Un conte de Michel Normand, de Saint-Juste-du-Lac

    Quelques années plus tard.

    En ce milieu décembre, la neige et le froid avaient déjà enveloppé toute la nature et ralenti au minimum les activités des gens du village. Malgré la récession, Simon faisait partie de ceux qui trimaient dur pour joindre les deux bouts. C’était cependant facile pour lui, car il s’occupait à ce qu’il connaissait et appréciait le plus comme travail hivernal, soit la trappe des animaux à fourrure.

    En ces années régnait cependant un climat de crainte et de peur parmi les villageois. De fait, la rumeur courait qu’une bête inconnue à la fois sanguinaire et malveillante aurait jeté son dévolu sur la région et principalement aux alentours de la grande montagne au bord du lac. Or, cette montagne était au centre du territoire de trappe de Simon. Il s’y rendait régulièrement malgré tout, ignorant la rumeur, mais toujours soucieux considérant la possible présence de la bête.

    On n’était plus qu’à quelques jours du temps des fêtes et Simon avait quitté dès l’aube afin de lever une dernière fois ses pièges avant Noël. Ce matin-là ne faisait pas exception, le froid était mordant, la bise soufflait littéralement des vagues de cristaux blancs qui couraient sur la glace du grand lac figé.

    Simon entreprit de gravir la pente lui permettant de rejoindre sa ligne de trappe qui s’étendait comme un long ruban sur les flancs de la montagne. Il avait toutefois une drôle de sensation, une étrange impression d’être suivi malgré qu’il n’ait décelé aucun indice lui permettant de justifier son appréhension.

    Il allait de piège en piège jusqu’à ce qu’il s’arrête net, bouche bée, les yeux écarquillés, debout devant son treizième piège où gisait une prise récente. Il ne pouvait se tromper, car la chaleur de ses entrailles fumait encore dans la froideur du matin. Son piège était détaché, l’animal avait eu la tête dévorée et son corps sauvagement éventré. Jamais il n’avait vu un tel carnage.

    La peur emplit son ventre et sa gorge se serra à la pensée de la si proche présence de la bête. Au moment où il se penchait pour mieux inspecter la scène, un éclair fauve explosa à sa gauche, mais il était déjà trop tard. La bête avait fondu sur lui toutes griffes dehors, ses lèvres rougies retroussées découvrant une immense gueule sertie de crocs acérés et étincelants.

    Le choc fut brutal, il se sentit soulevé par la force de l’impact, si bien qu’il en eut le souffle coupé. Ayant avec peine retrouvé sa respiration, il ressentit une douleur vive et intense à l’épaule gauche, ce qui le ramena à la réalité. Il sentit alors les crocs de la bête pénétrer sa chair sous l’épaisseur de son lourd manteau d’hiver. La bête avait manqué de peu sa gorge et s’il voulait s’en sortir vivant, il devait mettre la main sur son vieux 16 qui avait été projeté hors de sa portée lors de l’impact initial.

    Il se débattait dans la neige rougie, mais ses raquettes l’empêchaient de se retourner pour saisir son arme. La douleur s’intensifiait, ses bras faiblissaient, ses yeux s’embuèrent et un gout de sang monta dans sa gorge, c’en était fait de lui. Il allait tout abandonner et sur le point de fermer les yeux quand il entendit une voix à la fois ferme et douce… un chant…des paroles saccadées suivies de sons étranges, une mêlée de grognements gutturaux et de clics clics bizarres. C’est alors qu’un voile ocre se leva devant ses yeux et qu’il sombra dans l’inconscience.

    Il ouvrit péniblement les yeux, tout son corps le faisait souffrir et la douleur à son épaule lui arracha une terrible grimace. Il roula des yeux deux fois, puis son regard revint lentement à la normale.

    Mais, où était-il ?  L’air était empreint d’une odeur de suif et d’huiles aromatiques. Une mince couche de fumée roulait sur le plafond de ce qui lui semblait être un abri de pierre…une grotte pensa-t-il. Il pouvait aussi apercevoir au fond de la salle où il était étendu un gigantesque bloc de pierre rectangulaire comme s’il avait été taillé par la main de l’homme. De plus, une imposante roche plate reposait en travers de l’énorme bloc.

    C’est alors qu’un doux sifflement suivi de paroles dans une langue qui lui était inconnue le tirèrent de sa torpeur. Il faillit pousser un cri lorsqu’il la vit si près de lui, mais sa surprise s’estompa immédiatement pour laisser place à une sensation de calme et de douceur. C’est l’impression qu’il eut lorsqu’il vit comme ses yeux étaient magnifiques, incrustés dans un visage d’une rare beauté. Ses longs cheveux noirs couraient sur ses épaules à peine recouvertes d’une peau de daim qui moulait à la perfection son corps délicat.

    Il n’en croyait pas ses yeux, mais il réussit malgré tout à prononcer quelques mots. Qui es-tu ? Où suis-je ? dit-il d’une voix rauque. À sa grande surprise, elle répondit en bon français. Je me nomme Gegpewisg, fille de Pitalu et Mlgignewinu, du peuple Walastoqiyik. Tu te trouves dans une grotte secrète du mont Wisik. Je viens ici régulièrement pour honorer la mémoire de mon grand-père, le grand Tapui’tqamu. Ceci est son tombeau pillé il y a de nombreuses années par des coureurs des bois sans scrupules.

    Que m’est-il arrivé demanda-t-il, et elle lui répondit : tu as été attaqué par la bête, celle que l’on nomme lox et qui est venue du nord, par-delà le grand fleuve. Tu ne la connais pas, mais tu l’as déjà prise dans l’un de tes pièges. C’est moi qui l’ai libérée et elle m’en est restée reconnaissante. Elle ne me fera aucun mal, cependant elle peut être très dangereuse quand un étranger envahit son territoire. C’est une prédatrice redoutable à qui l’on doit respect, mais qui mérite néanmoins de vivre malgré la peur et la crainte qu’elle inspire.

    Comme toi, elle doit manger et pour ce faire, chasser sur un grand territoire. Elle est en quelque sorte la gardienne de ce tombeau. Je te demande de la respecter et ainsi de limiter le nombre de tes prises afin qu’elle puisse paisiblement cohabiter sur la montagne avec toi et les tiens.

    Si tu désires retrouver cette grotte, saches que tu devras en découdre avec cette bête et que je ne serai peut-être pas ici pour te secourir. Il lui sourit et glissa dans un doux sommeil.

    À son réveil, elle était étendue près de lui et lui caressait doucement les cheveux en le regardant de ses yeux doux et affectueux. Il sentit son coeur se serrer et son estomac se nouer de nouveau. Avalant difficilement sa salive, il tendit lentement le revers de sa main vers son visage. Elle prit doucement sa main et la serra tendrement sur sa joue, à ce moment, le cœur de Simon battait à tout rompre. Elle ferma les yeux et approcha son visage du sien. Ses lèvres effleurèrent les siennes dans un léger tremblement. Puis, malgré sa blessure, il l’enlaça amoureusement et la pressa tendrement contre lui.

    Simon sentait sa respiration s’accélérer et son torse se bomber à chaque bouffée de bonheur qui l’emplissait. Il aurait voulu que le temps s’arrête et ainsi, pouvoir vivre cet instant à jamais. Elle le lut dans ses yeux et constata qu’il ressentait pour elle le même sentiment qui l’avait envahi lorsqu’elle l’avait pris dans ses bras alors qu’il était blessé gisant presque sans vie dans la neige.

    Après un long moment, elle lui dit : tu es presque guéri, demain tu devras retourner chez toi. Simon lui demanda : mais toi, où iras-tu ? Tout comme toi, je retournerai chez moi avec mon peuple. Mais dit-il, où et quand je pourrai te revoir ?

    Je ne sais pas dit-elle. Il appartient à mes ancêtres de permettre une nouvelle rencontre entre nous. Si et seulement si je t’envoie un signe, alors tu pourras suivre les traces de la bête qui te mèneront ici. Elle lui montra un petit totem à l’effigie de Cihpolakon et lui dit: c’est le signe que tu recevras si nous pouvons à nouveau être réunis.

    Le lendemain, il quitta le cœur brisé, mais gonflé d’espoir en pensant aux ancêtres et au grand-père de Gegpewisg qui ne pouvaient vouloir que son bien. La route fut longue avant de rentrer au village. À son arrivée, tous criaient de joie; on te croyait mort! On te pensait perdu dans le froid ou au fond du grand lac ! Mais où étais-tu donc? Raconte-nous Simon!

    Il réfléchit et en son for intérieur, il savait qu’il ne pouvait parler de son extraordinaire aventure. Jamais ils ne voudront me croire se dit-il. Ils penseront à coup sûr que je suis fou!  À ce moment, il se mit à douter et à se demander s’il n’avait pas rêvé, s’il avait vraiment vécu ces instants merveilleux….

    On était en début de soirée, peu avant le grand réveillon de Noël. Simon était perdu dans ses pensées et il avait de la difficulté à masquer son désarroi et sa peine alors que personne ne comprenait sa situation.

    Soudain on entendit un bruit sourd à la porte, Alice la plus jeune sœur de Simon courut ouvrir.  Il n’y avait personne, que les traces d’un animal inconnu dans la neige fraiche et sur le pas de la porte reposait un petit totem sculpté à l’effigie du pygargue à tête blanche….

    À sa vue, Simon bondit de sa chaise, empoigna le totem et le serra contre son cœur. Il sentit les larmes emplir ses yeux, car il savait maintenant qu’il n’avait pas rêvé et qu’il pouvait, ô grand bonheur, aller la rejoindre demain à la première heure. C’était le plus beau cadeau qu’on aurait pu lui offrir.

    Devant l’incompréhension des siens, il se rassit et dit doucement aux membres de sa famille : approchez-vous, il est presque minuit et j’ai une histoire à vous raconter….

    Joyeux Noël à tous.

    Michel Normand. Saint-Juste-du-Lac.

    Traduction Française de la langue Micmac ou de la langue Passamaquoddy-Malécite : Gegpewisg : Goutte de rosée / Pitalu : Léa / Mlgignewinu : celui qui est fort/ Tapui’tqamu : double flèche, nom donné à un bon chasseur/ Cihpolakon : aigle à tête blanche, maintenant appelé pygargue à tête blanche / Wolastogiyik : Malécite/ mont Wisik : montagne du fourneau/ lox : carcajou ou glouton. On pouvait aussi le nommer : laks, loks, luks, lux.

                         

                        

     

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