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Le poète est venu...

durée 25 juillet 2019 | 04h19

Le poète est venu comme un soleil d’avril

Poser un œil brûlant sur la froideur du monde.

 

Et le poète a dit :

« Bonjour,

« Bonjour les fleurs,

« Vous êtes bien jolies,

« Vous avez doux parfum… »

 

L’Autre s’est emparé des jolies parfumeuses,

Les a bien repiquées en rangs bien alignés

Dans des serres de concentration,

Les a disciplinées,

Les a bien épurées,

Éliminant les faibles,

Imposant les couleurs,

Déterminant les formes.

 

Puis il les a tuées

En temps et lieu, selon les lois de la demande.

Il en a figé dans la cire,

Il en a coulé dans le verre,

Il en a ciselé pour des bouquets de noces

Et pour des bouquets de divorce

Il en a crucifié pour les pompes funèbres

Il en a mélangé aux rubans, aux peluches,

Au plastique, aux ballons,

Au phentex, aux bonbons.

 

Quand le poète cherche une rose tranquille

Balancée par le vent,

Une humble fleur des champs, marguerite ou pensée,

Un épilobe mauve, un bleu myosotis,

Il ne trouve plus rien dans les champs de béton,

Dans les plaines d’asphalte,

Dans les forêts d’acier aux feuillages de verre.

 

L’Autre a fait des bouquets de beaux billets de banque,

De beaux billets froissés de toutes les couleurs.

 

Mais ses bouquets n’ont pas d’odeur.

 

Le poète est venu comme un oiseau de mai

Tresser des anneaux d’or aux doigts des amoureux.

 

Et le poète a dit :    

« Bonjour,

« Bonjour à vous qui croyez en l’éternité

« Qui n’avez plus qu’un cœur pour deux,

« Qui noyez l’un dans l’autre les soleils de vos yeux. »

 

L’Autre s’est emparé du cœur des amoureux,

Il a volé leur âme et détourné leurs yeux.

Il a tué l’Amour unique,

L’Amour sans fin, l’Amour toujours,

En lui donnant valeur comptable.

 

Et désormais les gens parlent de leurs amours

Comme d’un pantalon ou d’une automobile :

« Je vis mon quatrième

« Ou mon dixième amour,

« Mais je l’échangerai bientôt

Pour un autre modèle. »

 

Quand le poète cherche un couple de fidèles,

Un vieux couple vieilli comme l’acier trempé

Dans la forge du temps, dans le feu des années,

Il ne trouve le plus souvent qu'un assemblage

Que l’Autre a reconstitué

Avec des pièces de seconde main.

 

Le poète est venu comme un soleil de juin

Poser son œil de feu sur les enfants du monde.

 

Et le poète a dit :    

« Bonjour,

« Bonjour enfants,

« Votre rire est joli comme une chanson d’ange.

« Le cercle de famille autour de vous s’enroule

« Et c’est un nid d’amour… »

 

L’Autre s’est emparé du rire des enfants.

Il a coupé le cercle.

Il a rompu les nids.

Et tous les enfants sans amour,

Il les a concentrés en rangs bien alignés

Dans les couvoirs artificiels des garderies,

Pour bien les uniformiser,

Les responsabiliser,

Les socialiser.

 

L’Autre s’est emparé du rire et de la liberté.

Les enfants désormais portent leur clé autour du cou

Comme un collier d’esclave.

 

 

Quand le poète cherche un enfant dans la ville,

Qui s’émerveille et chante avec les elfes et les fées,

Qui craint les ogres,

Et qui sait bien que son papa est le plus fort papa du monde,

Il ne trouve plus rien que des petits adultes

Qui regardent la guerre et la mort chaque jour

Sur l'écran de leur téléphone,

Et qui se moquent du Père Noël.

 

L’Autre a fait des jouets techniquement parfaits,

Mais ses jouets ne font pas rire

 

Et les enfants sont tristes.

 

commentairesCommentaires

6

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  • A
    Annie
    temps Il y a 4 ans
    C'est beau...

    Rien d'autre à ajouter.
  • MT
    M. Thériault
    temps Il y a 4 ans
    C'est bien joli et touchant. Et si vrai....dommage.
    C'est de vous???
  • R
    Richard
    temps Il y a 4 ans
    Merci Annie et M. Thériault, et... Oui, c'est de moi. Sinon j'aurais indiqué ma source.
    C'est vrai que c'est dommage que ça soit vrai.
  • CB
    Constance B.
    temps Il y a 4 ans
    Cet Autre est bien gourmand. Peut-être ne digère-t-il pas la Beauté du monde? Alors, il nous rend la vie bien amère et nous prive de l'essentiel. En même temps, l'Autre s'illusionne en ne croyant pas en la poésie.

    Le poète ne vient jamais seul. Il existe une vallée de larmes de tous les enfants pleurant d'ennui.

    Un soir de beuverie, lourd de sa bedaine de glouton, cet Autre trébucha. Charmé par les chants de pleurs, Il avala alors la coupe du vin acide et pétillant de son pillage. L'acidité de ce breuvage lui coupa l'appétit ... À suivre!
  • CC
    Constance Céline
    temps Il y a 4 ans
    Merci Richard pour ce texte inspirant: le poète est venu.
    Il est bien triste que ce soit vrai. J'ai pris plaisir à sermonner l'Autre!
    Veuillez tolérer cette Sortie de Secours écrite qui n'enlève en rien la valeur et la profondeur de votre texte.

    Cordialement, Constance Céline.
  • R
    Richard
    temps Il y a 4 ans
    Merci à Constance-Céline, et merci aussi à Marie-Hélène. La poésie n'est pas "populaire" mais elle aura toujours sa place...
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