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Les Grands Jeux de la forêt boréale

durée 25 janvier 2018 | 04h30

Vous l'ignorez peut-être, mais dans la forêt boréale, toutes les quarante lunes, il y a des grands jeux qui réunissent tous les animaux.  C'est une période sacrée, pendant laquelle une trève interdit toute prédation, toute guerre, toute bataille.  Tous les animaux, depuis les minuscules musaraignes jusqu'aux énormes orignaux, depuis l'écureuil jusqu'au loup, depuis le grand aigle jusqu'aux petits moineaux, tous les animaux font la paix et vivent un jeûne complet pendant quatre jours.  Ainsi les plantes, les grands arbres comme les modestes brindilles, ne craignent pas d'être broutées ou écorcées.

Les poissons des rivières peuvent sortir la tête de l'eau sans craindre les ours pêcheurs, les lièvres se promènent sans peur à portée des renards, même les sanguinaires belettes regardent sans menace les souris qui leur passent entre les pattes.  Les fragiles muguets agitent leurs clochettes, les insectes ne cherchent pas le nectar.  Même les larves arrêtent de grignoter les feuilles.
C'est le Manitou en personne qui préside les Jeux de la forêt boréale.  C'est le Manitou qui, par sa seule présence, assure le respect de la Trève Sacrée.  Le Manitou est le créateur et le maître de toutes les créatures, il aime également tous les animaux, toutes les plantes, même l'eau ou les roches.

Artiste : Huussii

Toutes les quarante lunes, il veut se rappeler comment était la forêt boréale aux origines, avant que la malice et la cruauté ne sèment parmi les animaux le goût et le besoin de se manger les uns les autres.

Pendant les quatre jours des grands Jeux, le lièvre et la tortue font la course - et la tortue ne gagne pas toujours.  Le corbeau et le renard font alliance pour égaler l'aigle et le loup lors de jeux de piste qui font appel autant à l'entraide qu'à la ruse et à la vision.  Le carcajou monte sur l'orignal, le polatouche sur le chevreuil et la mouffette sur le caribou, et tous ensemble présentent un numéro de dressage.

Il y a des chants (surtout d'oiseaux), de la danse, des acrobaties (où excellent les tamias, les sittelles et les pics), de la nage de fantaisie (voyez les loutres), des tours de force avec les ours, des ballets aériens d'insectes...  Mais pas de lutte, de combats, de compétition.  Pas d'envie, pas de tricherie.

Le Manitou aime toutes les créatures et pendant quatre jours, toutes les quarante lunes, il fait les Jeux pour que toutes ses créatures s'aiment et s'admirent comme si elles étaient toutes de la même race, de même poil, plume, écaille, bois...  Toutes de même poids, de même taille, de même importance.

Une seule des créatures du Manitou ne participe pas aux Jeux, c'est l'homme.  Lui, il se pense plus important que tout, plus sage que le Manitou lui-même - d'ailleurs il ne croit plus trop au Manitou.
L'homme ne participe pas aux Jeux.  Il est trop cruel et trop fou.  Il ne saurait passer quatre jours sans viande, sans poisson, sans arracher des herbes, sans écraser des insectes, sans tuer.

Alors, pendant les Jeux, le Manitou ferme la forêt boréale.  Les hommes qui veulent y entrer tombent endormis.  Ils croient rêver que des vers, des tamias ou des marmottes viennent jouer avec leurs bretelles et les lacets de leurs bottes.  Ils pensent que c'est en rêve que des oiseaux les becquettent et que toutes sortes d'animaux les piétinent, se servent de leur poitrine comme tremplin, de leur nez comme rampe...  ils croient rêver, mais ce n'est pas un rêve, c'est seulement qu'ils dorment.

Quand ils se réveillent au bout de quatre jours, ils sont courbaturés, déguenillés, sales.  Parfois, dégoûtés, ils partent et ne reviennent jamais dans la forêt boréale.
Alors le Manitou sourit et toute la forêt se réjouit.

 

commentairesCommentaires

2

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  • MT
    M. Thériault
    temps Il y a 6 ans
    C’est un beau texte qui nous amène à réfléchir sur notre situation d’humains qui prend trop souvent tout pour acquis sans se préoccuper des conséquences. Un moment donné, j’imagine qu’une vraie prise de conscience se fera sinon, il risque d’être trop tard. Le véritable danger est à l’extérieur de la forêt, c’est nous….
    Je me dis qu’une sacrée chance que le Manitou veille à ce que ce soit parfait pour tout ce qui vit dans la forêt boréale, sinon je plaindrais pas mal ce pauvre caribou qui se promène avec la mouffette sur son dos… ;o) Sans blague, j’ai bien aimé vous lire.
  • R
    Richard
    temps Il y a 6 ans
    Pas de danger pour le caribou: la mouffette n'arrose que si elle se sent menacée. J'en ai fait l'expérience plusieurs fois, car je suis arrivé plusieurs fois face à face avec des mouffettes (parfois avec leurs petits); quand on reste calme et qu'on leur parle doucement en reculant lentement, elles passent leur chemin sans s'occuper de nous.