(Petit conte pour Claudine)
Augustin le lutin n’aimait pas beaucoup la neige. C’est un grave inconvénient pour un lutin de ne pas aimer la neige… Vous savez, quand on est lutin, on doit travailler au moins deux mois chaque année pour le Père Noël. Or les ateliers du Père Noël sont au Pôle Nord, et au Pôle Nord, il y a de la neige. Il y en a même beaucoup. Pour tout dire, il n’y a que ça, de la neige, au Pôle Nord!
Vous comprenez maintenant qu’Augustin le lutin n’était pas heureux toute l’année. Mais comme c’était un brave petit bonhomme de lutin, il partait quand même chaque année pour le Pôle Nord, et pendant deux mois chaque année, assis à son établi, il fabriquait des jouets pour les enfants sages.
En face de son établi, il y avait une fenêtre. Mais par cette fenêtre, tout ce qu’Augustin pouvait apercevoir, c’était de la neige. Des dentelles de neige le long des carreaux, un coussin de neige sur le rebord de la fenêtre. Et puis des champs de neige à l’infini, avec quelques collines de neige, des vallées de neige, un ciel couleur de neige.
Alors, pendant qu’il assemblait des petites voitures ou qu’il peignait les yeux des poupées, Augustin rêvait de forêts vertes, de sable brun, d’eau bleue. En installant les petites touches de clavier des petits ordinateurs, en découpant les blocs des jeux de construction, Augustin revoyait les champs pleins de marguerites et de verges d’or, la rivière avec les poissons d’argent, le gros chat jaune s’étirant au soleil.
Quand il était au Pôle Nord, Augustin le lutin rêvait du Bas-du-Fleuve. Il rêvait aussi de Madame Claudine, celle qui était sa maman pendant les mois où il vivait dans le Sud. Durant ces mois-là, Augustin ressemblait à un petit garçon ordinaire : il était habillé comme un petit garçon ordinaire, coiffé comme un petit garçon ordinaire, et comme tous les enfants de son âge il jouait dans le sable, lisait des livres illustrés, courait derrière les papillons, assemblait des bouquets de verges d’or et de marguerites. Maman Claudine lui racontait des histoires, lui cuisinait toutes sortes de bonnes choses.
Il allait à l’école aussi, comme tous les enfants ordinaires.
Seulement quand venait novembre, une nuit, pendant son sommeil, Augustin voyait arriver dans le ciel un grand renne mené par un vieux lutin. Alors, dans son sommeil, Augustin montait en croupe et le vieux lutin l’emmenait au Pôle Nord. Pendant le voyage, Augustin sentait ses oreilles s’allonger… Il avait un peu froid aussi, au début. Mais bien vite il se retrouvait habillé chaudement en vert et en rouge, et les grelots de son bonnet commençaient à tinter en harmonie avec les grelots qui ornaient la bride du grand renne.
Et voyez comme c’est étrange : le lendemain matin, maman Claudine retrouvait Augustin dans son petit lit, comme d’habitude. Il se levait, faisait sa toilette, mangeait puis allait à l’école, comme d’habitude. Seulement il était plutôt distrait. Maman Claudine et l’institutrice remarquaient qu’en novembre et en décembre, Augustin était moins attentif, mains espiègle, moins éveillé. Maman Claudine avait même consulté un médecin, mais il n’avait rien trouvé.
—Un peu de fatigue, peut-être, avait-il fini par dire. Rien d’inquiétant : ce garçonnet est en excellente santé. Ça pourrait être le manque de lumière, en cette saison…
C’est ça qui est étrange : car en même temps Augustin le lutin était aux ateliers du Père Noël, et il rêvait à tout ce qui faisait le bonheur d’Augustin le petit garçon. Et Augustin le petit garçon rêvait des jouets qu’Augustin le lutin fabriquait au Pôle Nord…
Heureusement tout rentrait dans l’ordre autour du 21 décembre. Cette nuit-là est la plus longue de l’année, comme vous le savez… Et pour les lutins des ateliers, c’est le début des vacances. Alors cette nuit-là, sur le dos du grand renne, le vieux lutin ramenait Augustin le lutin chez lui dans le Bas-du-Fleuve. Il le ramenait jusque dans son petit lit, jusque dans son sommeil.
Le lendemain matin, Augustin avait tout oublié. Il se levait joyeux, embrassait bien fort Maman Claudine et voulait toujours l’aider à décorer l’arbre de Noël…
Mais il n’aimait pas beaucoup la neige, Augustin. Il avait hâte à l’été pour retrouver les champs pleins de verges d’or et de marguerites, le gros chat s’étirant au soleil, la rivière avec les poissons d’argent…