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Le temps des anonymes

durée 26 mars 2015 | 06h00

 

Avant la fin des années 1950, les « self-service » étaient des curiosités.  À l’épicerie du coin on « passait sa commande » au comptoir, l’épicier ou son commis se chargeait de prendre les denrées sur les tablettes ou dans le « backstore » pour vous les apporter.  Pas de cafétérias, pas de machines distributrices.  C’est le pompiste qui remplissait le réservoir de votre auto, le ferronnier qui allait chercher vos clous.  Au téléphone, il vous fallait passer par la « demoiselle du Central » pour obtenir vos « longues distances ».

Tout a changé après 1960, quand la multitude des baby-boomers devint une multitude de clients, une multitude de consommateurs.

Dorénavant chacun choisit soi-même sa boîte de tomates en se promenant dans les rayons du Steinberg, et même l’épicier du coin doit s’ouvrir à cette nouvelle façon de faire.  Les machines à sous offrent boissons gazeuses, sandwiches, gâteaux, peignes et briquets -en attendant les condoms.  Aux restaurants « traditionnels » s’ajoutent les cafétérias où chacun prend soi-même sa nourriture.  À la station-service, on vous invite à faire le plein vous-même.  Les ferronneries font place aux grandes surfaces anonymes, le marchand général est mangé par les Centres commerciaux et le téléphone automatique (bientôt sans fil) envoie le « switchboard » du Central au musée.

Voici venir le temps des individualistes.  Voici venu le temps où, comme l’arbre caché par la forêt, l’anonyme se fond dans la multitude.

C’est un fait que les baby-boomers, qui vont réaliser les plus grands projets collectifs de l’histoire, sont de farouches individualistes.  La plus remarquable transformation de la société des années 1960 à 1980, c’est le passage brutal du NOUS au MOI.

Finies les soirées en famille, les assemblées de perrons d’églises, les clubs Lacordaire et les corvées de grattage de patinoires.  Finie l’écoute en groupes de la musique autour du « pick-up » ou du radio-roman autour du poste à lampes.  Dorénavant chacun se branche l’oreille à son transistor.

Le « walkman », la télévision, puis les ordinateurs, isolent du monde en ouvrant au monde. 

Les sports individuels prennent le pas sur les sports d’équipe.  On ne fonde plus de ménages, on forme des communes -qui sont des additions d’individus et non des communautés.

Féminisme, contraception, avortement, divorce, drogues douces, tolérance religieuse, raciale, sexuelle, emplois nombreux, crédit facile, toutes les clés sont forgées pour ouvrir les serrures de la tradition religieuse et sociale. 

La Charte des droits et Libertés devient la nouvelle Bible, le nouveau Coran, la nouvelle Torah, sans que personne ne songe à réclamer une Charte des Devoirs et Responsabilités.

Des études statistiques établissent que, dans les langues occidentales, le mot le plus employé est le mot « JE », suivi de près par le mot « MOI ».

Kennedy souhaitait que « chaque citoyen se demande, non pas ce que l’État pouvait faire pour lui, mais ce que lui pouvait faire pour l’État ».  Pauvre Kennedy !  Les jeunes qui l’ont tant admiré n’ont jamais tant reçu de l’État, au prix d’un endettement collectif dont on ne voit pas la fin...

 

commentairesCommentaires

7

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  • Y
    Yoann
    temps Il y a 9 ans
    C'est pas pour me vanter, mais moi je trouve personnellement que c'est un texte très intéressant... ;)
    Quel dommage que cet individualisme et cet égocentrisme, à l'heure où l'on peut tous se "connecter" les uns aux autres.
  • A
    Annie
    temps Il y a 9 ans
    Tellement vrai! Mais est-ce que tout le monde est vraiment plus heureux dans cette société de "jetables" et de "je, me moi"? Je ne crois pas. Les gens se cherchent continuellement, sans réussir à combler le vide créé par notre nouvelle façon de vivre. Nous mettons des enfants au monde pour les faire élever par d'autres car notre "carrière" est trop importante (c'est fou raide!), on entend juste parler que les enfants d'aujourd'hui ont des problèmes d'attention à l'école (allo! allo! problèmes techniques, là!), les gars ne peuvent plus être des gars car les écoles ont peur d'être poursuivies s'ils se blessent en courant dans la cour d'école ou en jouant au ballon, etc... Toute cette société est de la pure folie! Sans que cela redevienne comme avant avec la religion qui se mêle de tout dans notre maison, je crois vraiment qu'il est temps que le balancier revienne. Un juste milieu doit exister, je ne peux pas croire! Il n'en tenait qu'à nous (eh oui! j'ai su la semaine dernière que je suis de la dernière mouture de baby-boomers. Assez spécial, j'ai toujours pensé ne pas en être!) d'élever nos enfants avec des valeurs qu'ils perpétueront.

    Ah! et pour une charte des devoirs et responsabilités, je suis 100% d'accord avec ça. Les gens d'aujourd'hui (incluant les criminels mais ça c'est un autre débat) n'ont que des droits, sans responsabilités ni devoirs, à les entendre parler. Ça ne peut pas fonctionner comme ça! Quand j'étais jeune, on disait que la liberté des uns finissait là ou celle des autres commençait et c'était pareil pour les droits et responsabilités. Aujourd'hui, ça n'existe plus que pour quelques rares personnes et nous nous sentons comme si nous étions des extra-terrestres de penser comme ça.
  • R
    Richard
    temps Il y a 9 ans
    Je suis un blogueur chanceux: mes textes sont toujours enrichis par les illustrations de Nicolas et par vos commentaires intelligents et pertinents.
  • MT
    M. Thériault
    temps Il y a 9 ans
    Ça me ramène pas mal en arrière votre billet.
    Les pintes de lait de verre sur les galeries avec les bons à l’intention du laitier qui passait de porte en porte, le boucher qui emballait sa viande dans des papiers spéciaux et les mamans avec leur corde à linge remplie de couches lavables.
    Je ne m’étais jamais arrêtée à ça. Ça fait réfléchir.
    Maintenant c’est le carton pour le lait, la styromousse pour la viande, et les couches jetables…
    Ça veut dire que nous, la deuxième génération de boomers dont je fais partie, en pensant à nous d’abord et en faisant tout pour se faciliter davantage la vie, sommes en grande partie responsables de plusieurs tonnes de déchets enfouis dans le sol et qui prendront des années et des années à se détériorer. Et on appelle ça le progrès.
  • R
    Richard
    temps Il y a 9 ans
    Dans le prochain article, si nous parlions de mode?
  • FB
    France B.
    temps Il y a 9 ans
    Cher Richard, de professeur intéressant, tu es devenu un auteur digne de ce nom. J'aime beaucoup te lire. Le présent texte décrit très bien notre société actuelle (c'est bien malheureux) et est agrémenté d'images recherchées. Bravo !
  • R
    Richard
    temps Il y a 9 ans
    Merci France B. J'espère que tu aimeras les prochains textes! Pour les illustrations, c'est le webmestre Nicolas qu'il faut féliciter chaque fois!
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