Avant la fin des années 1950, les « self-service » étaient des curiosités. À l’épicerie du coin on « passait sa commande » au comptoir, l’épicier ou son commis se chargeait de prendre les denrées sur les tablettes ou dans le « backstore » pour vous les apporter. Pas de cafétérias, pas de machines distributrices. C’est le pompiste qui remplissait le réservoir de votre auto, le ferronnier qui allait chercher vos clous. Au téléphone, il vous fallait passer par la « demoiselle du Central » pour obtenir vos « longues distances ».
Tout a changé après 1960, quand la multitude des baby-boomers devint une multitude de clients, une multitude de consommateurs.
Dorénavant chacun choisit soi-même sa boîte de tomates en se promenant dans les rayons du Steinberg, et même l’épicier du coin doit s’ouvrir à cette nouvelle façon de faire. Les machines à sous offrent boissons gazeuses, sandwiches, gâteaux, peignes et briquets -en attendant les condoms. Aux restaurants « traditionnels » s’ajoutent les cafétérias où chacun prend soi-même sa nourriture. À la station-service, on vous invite à faire le plein vous-même. Les ferronneries font place aux grandes surfaces anonymes, le marchand général est mangé par les Centres commerciaux et le téléphone automatique (bientôt sans fil) envoie le « switchboard » du Central au musée.
Voici venir le temps des individualistes. Voici venu le temps où, comme l’arbre caché par la forêt, l’anonyme se fond dans la multitude.
C’est un fait que les baby-boomers, qui vont réaliser les plus grands projets collectifs de l’histoire, sont de farouches individualistes. La plus remarquable transformation de la société des années 1960 à 1980, c’est le passage brutal du NOUS au MOI.
Finies les soirées en famille, les assemblées de perrons d’églises, les clubs Lacordaire et les corvées de grattage de patinoires. Finie l’écoute en groupes de la musique autour du « pick-up » ou du radio-roman autour du poste à lampes. Dorénavant chacun se branche l’oreille à son transistor.
Le « walkman », la télévision, puis les ordinateurs, isolent du monde en ouvrant au monde.
Les sports individuels prennent le pas sur les sports d’équipe. On ne fonde plus de ménages, on forme des communes -qui sont des additions d’individus et non des communautés.
Féminisme, contraception, avortement, divorce, drogues douces, tolérance religieuse, raciale, sexuelle, emplois nombreux, crédit facile, toutes les clés sont forgées pour ouvrir les serrures de la tradition religieuse et sociale.
La Charte des droits et Libertés devient la nouvelle Bible, le nouveau Coran, la nouvelle Torah, sans que personne ne songe à réclamer une Charte des Devoirs et Responsabilités.
Des études statistiques établissent que, dans les langues occidentales, le mot le plus employé est le mot « JE », suivi de près par le mot « MOI ».
Kennedy souhaitait que « chaque citoyen se demande, non pas ce que l’État pouvait faire pour lui, mais ce que lui pouvait faire pour l’État ». Pauvre Kennedy ! Les jeunes qui l’ont tant admiré n’ont jamais tant reçu de l’État, au prix d’un endettement collectif dont on ne voit pas la fin...