Je causais ce matin avec un copain qui passerait volontiers sa vie à voyager. Un homme qui ne peut comprendre ceux qui, ayant la santé et les moyens, ne voyagent pas.
Je me dis qu’on pourrait classer l’humanité en deux catégories : ceux qui trouvent leur bonheur ailleurs, et ceux qui trouvent leur bonheur là où ils sont.
Photo : voyage-aventure.akaoka.com
Comme disait Aznavour, « j’ai des amis des deux côtés ». Claire, Philippe, Francine, Michel, Gérald, Ghislain, et des dizaines d’autres n’aiment rien tant que d’aller voir au-delà de l’horizon. Ils vont dans le Sud, ils vont en Europe, ils vont en Asie. J’ai une nièce qui, avec son mari, a fait un tour du monde de deux ans avant de se fixer. Elle a subi un traitement de canal en Afrique et vu le soleil se lever sur l’Himalaya. À bien y penser, tous mes neveux et nièces ont parcouru le monde, certains par affaires, la plupart simplement pour visiter d’autres paysages, d’autres civilisations.
De l’autre côté Marc, Gérard, Marcel, Normande, Andrée –et moi! n’aimons rien tant que la tranquillité de nos foyers, la sérénité de nos routines.
Je connais une artiste-peintre qui s’évade chaque jour sans jamais prendre l’avion. Elle s’installe à son chevalet et, tout d’un coup, elle habite sa toile. Elle est dans cette rue d’Annecy qui longe le canal de Thiou. Elle est parmi ces badauds qui lèchent les vitrines au Petit Champlain. Elle imagine ce qui arrive derrière ces vitrines de la rue Lafontaine, à bord de ces bateaux d’une baie bretonne…
Et moi, plongé dans mes livres ou connecté à l’Internet, je me promène aussi; mais à la différence de mes amis globe-trotteurs, je voyage aussi bien dans le temps que dans l’espace. Je visite l’Athènes de Périclès et la Rome de Trajan, je suis à Paris en 1830 pour la première d’Hernani, j’arpente sans danger les bas-fonds de Londres en 1880. C’est Michel-Ange lui-même, bougonneux et la barbe sale, qui m’explique la posture de son David ou les détails du plafond de la Sixtine.
Photo : ©2012-2014 wetcanvas
Je connais mieux que tous les touristes les caves du Louvres, les toits de Notre-Dame ou les recoins de Versailles, car je m’y suis rendu à travers l’œil de cinéastes qui avaient le privilège d’aller où nul touriste n’a le droit d’entrer.
Mais quand je dis cela à mes amis voyageurs, ils me regardent avec un brin de compassion et me disent que « ce n’est pas comme voyager pour de vrai ».
Ils ont raison, bien sûr. Mais ça ne me coûte rien, je n’ai pas besoin de vaccins contre d’exotiques maladies, je ne crains ni les accidents d’avion ni les punaises de lit. Mes bagages ne s’égarent jamais, je ne connais pas la tourista et je n’ai jamais eu le « mal du pays ».
Est-ce que je suis normal?
Et vous, fidèles lecteurs, si vous gagnez des tas d’argent à la loterie, est-ce que votre premier réflexe sera de courir à l’agence de voyages ou aurez-vous d’autres désirs à combler?