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Le Postier du Pôle Nord

durée 19 décembre 2013 | 13h51

Adolphe a toujours été serviable et poli. Peut-être n’est-il pas le plus intelligent des commis, mais comme il a toujours été vaillant, empressé et souriant, durant de longues années sa carrière au bureau de poste est restée sans histoire.

Puis un jour son oreille s’est endurcie.  Cela ne s’est pas fait tout d’un coup.  Simplement, de semaine en semaine, de mois en mois, les mots sortis de la bouche des autres se sont mis à s’embrouiller, comme si les oreilles d’Adolphe avaient été des miroirs déformants.

Ce n’est pas très commode, quand on travaille au comptoir d’un bureau de poste.  Les clients, souvent pressés, finissent pas s’impatienter.  Certains deviennent même plutôt malpolis.

Quand elle lui a demandé un timbre et qu’Adolphe a couru chercher un cintre, la dame un peu pète-sec s’est fâchée.  Quand le marchand s’est informé des tarifs pour l’Angleterre et qu’Adolphe s’est mis à quatre pattes pour chercher la clé tombée par terre, le marchand s’est moqué de lui.

—Est-ce que j’ai un colis? a demandé la maîtresse d’école.

—Euh…  balbutia le pauvre Adolphe en rougissant, oui, je vous trouve très jolie…

—Ce n’est pas ce que je demande, dit patiemment la jolie maîtresse d’école.  Je veux savoir si un paquet m’est adressé.

—Oh! mais, mais… bégaya le pauvre Adolphe devenu pourpre, oui, je veux bien vous embrasser…

Le maître de poste, attiré par les rires des autres commis, se dépêche de remettre son colis à l’institutrice avant de la pousser dehors avec des excuses.  Puis il prend Adolphe par le bras et le mène dans son bureau.

—Mon pauvre Adolphe, décidément, tu es devenu sourd comme un pot!

—Je sais bien que je ne suis pas beau, soupire le commis en se tortillant.  Je ne sais pas pourquoi Mademoiselle Élise voulait que je l’embrasse…

Le maître de poste secoue la tête, tire une feuille de papier et inscrit en grosses lettres:

« TU ES SOURD, ADOLPHE.  JE NE PEUX PLUS TE LAISSER AU COMPTOIR.  DORÉNAVANT TU VAS TRAVAILLER AU TRI. »

Adolphe adore les gens, le défilé des figures nouvelles et des visages familiers, la joyeuse animation des matins d’affluence. Travailler au tri, à l’arrière, sans autre compagnie que des sacs de toile, des bacs en plastique et des casiers en tôle, c’est pour lui comme un exil.

Mais il sait bien que ses oreilles ne lui sont plus fidèles comme avant.  Alors il baisse la tête et dit simplement:

—Je comprends, chef.  Je vais faire de mon mieux.

À partir du lendemain, il passe ses journées à vider les sacs de toile, remplir les bacs en plastique, classer lettres et colis dans les casiers en tôle.  Il s’ennuie.  Parfois il risque un œil par la fente et regarde les gens qui entrent et qui sortent, défilant devant le comptoir, riant avec les autres commis…

Puis il retourne au tri en soupirant.

Un jour (c’est le jour de la première neige, je m’en souviens), Adolphe trouve une valise dans l’un des sacs de toile.  Une petite valise toute drôle, rouge avec des piqûres blanches.  Attachée à la poignée avec une ficelle, il y a une étiquette.  Et sur l’étiquette, c’est écrit:

« POUR MONSIEUR ADOLPHE,
SERVICE DU TRI,
BUREAU DE POSTE ».

—C’est pour moi! s’écrie le pauvre Adolphe.  C’est la première fois que je reçois du courrier!  Qui donc peut m’envoyer un si joli colis?

Tout excité, il dénoue soigneusement la ficelle, tire la languette de la serrure, la petite valise s’ouvre et une petite bête saute sur un bac en plastique.  Adolphe tressaille et laisse tomber la valise.

Quelle étrange petite bête!  Grosse juste comme une souris, mais ce n’est pas une souris: elle est brune, elle a de minuscules cornes sur le front, une toute petite queue, un joli petit nez tout rouge.

Sortilège!

La petite valise, en tombant sur le sol, se met à vibrer, à s’enfler, à gonfler, et bientôt il y a, au milieu de la salle de tri, un grand traîneau rouge décoré de blanc!  Quant à la petite bête, elle grandit, grandit! Et c’est un grand renne qui bientôt vient se placer entre les limons du traîneau.  Un vrai renne, avec de grands bois, de gros pieds et, bizarrement, un nez rouge comme celui d’un clown, ou d’un ivrogne…

Sans savoir comment, Adolphe se retrouve assis sur le siège du traîneau.  Le renne s’ébroue, fait un pas en avant…  et même si aucun harnais ne l’attache aux limons, le traîneau s’ébranle, traverse la salle de tri, se retrouve dehors.  Adolphe se demande de quelle manière ils ont traversé le mur!

Puis l’attelage s’élève dans les airs, frôle le campanile de l’hôtel de ville, contourne le clocher de l’église, survole les maisons, les rues, les ponts, s’élance droit vers le fleuve comme en visant l’étoile Polaire.

Vaincu par l’émotion, Adolphe s’évanouit.

Quand il se réveille, il y a, penché sur lui, un gros bonhomme à bonnes joues rouges et une très jolie dame —qui, ma foi! ressemble assez à certaine maîtresse d’école…

—Où suis-je? balbutie le pauvre Adolphe.

—Tu es au Pôle Nord, mon brave Adolphe, répond le gros bonhomme en riant dans sa barbe blanche.  

—Nous avons besoin d’un bon commis pour le comptoir de notre bureau de poste, continue la belle dame avec un merveilleux sourire.

—Mais…  Mais je vous entends très bien, s’écrie Adolphe.  Comment est-ce possible?

—C’est que nous ne parlons pas à tes oreilles, explique le Père Noël.

—Nous parlons à ton cœur, murmure la Fée des Étoiles.

C’est depuis ce jour-là (le jour de la première neige, je m’en souviens) qu’Adolphe, commis serviable, poli, vaillant, empressé et toujours souriant, travaille au bureau de poste du Pôle Nord.  Quand vous écrivez au Père Noël, ou à la Fée des Étoiles, ou à l’un des lutins, c’est ce bon Adolphe qui remet fidèlement vos lettres à leur destinataire.  Et quand le Père Noël, ou la Fée des Étoiles, ou l’un des lutins vous écrit, c’est à ce brave Adolphe qu’ils remettent leurs lettres, et c’est lui qui s’occupe de vous les faire parvenir.

À ma connaissance, il ne se trompe jamais...  Sauf quand un méchant enfant écrit au Père Fouettard pour dire du mal des autres enfants.  Dans ces cas-là, inexplicablement, les lettres se perdent!


 

commentairesCommentaires

4

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  • Y
    Yoann
    temps Il y a 10 ans
    Joli conte, encore une fois...
  • M
    Monique.
    temps Il y a 10 ans
    Je me demande ce que le Père Fouettard dirait s’il lui venait aux oreilles que Adolphe, le commis affecté au bureau de poste du Pôle Nord, ne lui achemine pas tout le courrier qui lui est destiné, même celui de porte-panier... Mon idée qu’il passerait un mauvais quart d’heure. Ouch! Vous, qui l’avez déjà eu comme patron, savez-vous si le Père Noël est au courant de ces faits, il le couvre…?
  • R
    Richard
    temps Il y a 10 ans
    @Monique: le Père Noël, bien sûr, n'ignore rien de ce qui se passe au Pôle Nord. Alors je dois dire qu'effectivement, il "couvre" sans doute le brave Adolphe. Sa philosophie est: "il vaut mieux ne pas entendre ceux qui disent du mal d'autrui."

    Je pense qu'il a raison...
  • Y
    Yoann
    temps Il y a 10 ans
    Joyeux Noel à tous !!!
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