Élection de Témiscouata en 1890 : des résultats étonnants
Par Paul-Henri Hudon et Jeannine Ouellet, historiens
Succès sur toute la ligne aujourd’hui. Les électeurs de Cacouna et de Bégon, ont refusé d’entendre parler l’ex-député Deschênes, M. Alphonse Pouliot, frère du candidat, a eu le même sort à Saint-Arsène. Le candidat Pouliot a reçu une raclée des mieux conditionnées du député Grandbois, à N.-D. du Lac. M. Jean Taché en a aussi administré une à Chs. Gauvreau, notaire de l’Isle Verte, à Saint-Modeste et à Saint-Antonin. On peut compter une majorité de 500 voix pour M. Rioux.
La Presse, édition du 16 juin 1890
Ces détails concernant les élections de 1890 nous sont rapportés dans l’édition du 16 juin 1890 du journal montréalais La Presse, un journal « conservateur », opposé aux libéraux de Wilfrid Laurier et d'Honoré Mercier, qui appuie fortement le gouvernement de MacDonald et de George-Étienne Cartier de l’époque.
Fondé en 1884, le journal La Presse est lancé par des conservateurs insatisfaits du gouvernement du premier ministre John A. MacDonald. C'est entre 1899 et 1904 que son contenu adopte une tendance libérale. Dès les premières décennies du XIXe siècle, la plupart des journaux s'allient soit au Parti réformiste (devenu le Parti libéral), soit au Parti conservateur. Loin d'être un simple instrument des partis qu'ils prétendent appuyer, ces premiers journaux constituent l'organe de factions ou de chefs particuliers au sein de ceux-ci.
Le 2 avril 1890, la carte électorale du Québec est remaniée; dès lors, les circonscriptions servant aux élections provinciales seront différentes de celles utilisées pour les élections fédérales. Après le bref d’élection émis le 16 mai, se tient le scrutin, le 17 juin, afin d'élire à l'Assemblée législative du Québec les 73 députés de la 7e législature depuis la confédération de 1867. Au cours de la campagne sont abordés, entre autres, le thème de l’autonomie provinciale et la question des frontières du Labrador.
À l’ouverture de la session qui a lieu le 4 novembre, les libéraux dirigés par Honoré Mercier sont reportés au pouvoir avec une majorité accrue malgré les reproches des conservateurs relativement aux finances de la province. Dans la circonscription électorale de Témiscouata, c’est le libéral Charles-Eugène Pouliot qui l’emporte. Moins de deux ans plus tard, à la suite de fausses accusations de corruption, Mercier sera démis de ses fonctions de premier ministre par le lieutenant-gouverneur de 1887 à 1892, Auguste-Réal Angers (qui deviendra conseiller juridique de la firme Frothingham & Workman, de Montréal qui achète en septembre 1897 un terrain sur lequel avait été construite quatre ans plus tôt la maison du 125, rue McKay, sise en face de celle qui appartiendra à son petit-cousin, le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau en 1905, à la Pointe de Rivière-du-Loup), sur la foi d’un rapport d’enquête portant sur le scandale de la Baie des Chaleurs.
Le premier ministre Mercier et Ernest Pacaud sont alors accusés d'avoir alimenté la caisse électorale du Parti national à même les fonds versés par le gouvernement. Finalement, seul Pacaud sera incriminé. Cette histoire avait débutée en 1872, avec l’incorporation de la Compagnie de la Baie-des-Chaleurs, qui avait pour mandat de bâtir la ligne de chemin de fer reliant Matapédia et Paspébiac en moins de dix ans. Détenue par Robitaille, un politicien, l’entreprise réussit à se faire financer un tronçon, en plus d’obtenir 3200 $ par mille. L’argent fut octroyé mais, en 1882, pas un seul kilomètre de rail n’avait été fait. Afin d’échapper à ses engagements, une refonte de la compagnie s’ensuivit : Robitaille et des associés se font financer un autre segment, puis épuisent les fonds. En 1889, la ligne atteignait Maria, où faute d’avoir été payés, les ouvriers déclenchent une grève. La compagnie fait faillite. Les Gaspésiens n'étaient toutefois pas au bout de leurs peines, attendant toujours, depuis 18 ans, l’avènement du train le long de la baie. Honoré Mercier, qui s’était fait élire en promettant de régler la question une fois pour toutes, se retrouva alors face à des sommes occultes dans la caisse électorale de son parti. C’est ce qui entraînera sa chute et celle de son gouvernement en 1891, bien qu’on n’ait pu prouver son implication directe dans l’affaire. Pour sa part, le député de Témiscouata, le libéral Charles-Eugène Pouliot, perdra aussi son poste au profit de Napoléon Rioux, conservateur.
Nonobstant que le titre de l’article nous informe que ces données concernent la circonscription électorale de Témiscouata, l’action décrite se situe dans les environs de Rivière-du-Loup. Le comté de Rivière-du-Loup n’existe pas, pas encore! La circonscription électorale de Rivière-du-Loup sera créée en 1930. De 1867 à 1931, d’après la carte électorale établie en 1867, le territoire qui constitue aujourd’hui la circonscription de Rivière-du-Loup était inclus dans la circonscription de Témiscouata. Entre 1867 et 1875, le député représentant ce comté est le conservateur Élie Mailloux. Lui succédera Georges-Honoré Deschênes siégeant d’abord sous la bannière du Parti libéral, puis à titre de député conservateur de 1878 à 1890.
Élections générales de Témiscouata de 1867 à 1900
Par ailleurs, bien que les faits se déroulent dans la grande région de Rivière-du-Loup, il n’est pas plus facile de comprendre toute la teneur de ces propos, lieu et personnages nous étant peu familiers de nos jours. Voici donc quelques explications.
Nous connaissons tous Cacouna, Saint-Arsène, Notre-Dame-du-Lac, L’Isle-Verte, Saint-Modeste et Saint-Antonin mais peu de personnes se souviennent du canton Bégon qui était situé au sud de la paroisse des Trois-Pistoles.
Faisons maintenant la lumière sur les mystérieux personnages mentionnés dans cet article de La Presse.
M. Alphonse Pouliot est le frère du candidat Charles-Eugène Pouliot. En 1890, ce dernier devient père d’un fils qui sera prénommé Jean-François, né le 28 mars, et est élu député libéral à l'Assemblée législative dans le comté de Témiscouata. Au moment de l’élection de Charles-Eugène Pouliot, Paul-Étienne Grandbois est député fédéral de la circonscription de Témiscouata.
L'avocat Jean Taché fut le premier régistrateur pour la région de Kamouraska. En 1890, Jean Taché déménage ses documents dans le nouvel édifice du palais de justice de Kamouraska, construit en 1888. Le bureau d'enregistrement s'établira définitivement à Saint-Pascal en 1913.
Charles-Arthur Gauvreau (1860-1924), bachelier ès-arts, journaliste et notaire, sera député sept ans plus tard, en 1897, au parlement fédéral, battant le candidat conservateur Napoléon Rioux, né à Trois-Pistoles, le 13 février 1837, fils de Jean-Baptiste, cultivateur. Pendant vingt-cinq années consécutives, Gauvreau sera député fédéral du comté de Témiscouata. En outre, Charles Gauvreau sera l’auteur de Les épreuves d’un orphelin, publié en 1881, L’Isle-Verte (Saint-Jean-Baptiste), en 1889, Trois-Pistoles, volume de 336 pages publié à Lévis, en 1891, Au bord du Saint-Laurent, en 1923.
Si tel que le rapportait l’édition du 16 juin, on croyait pouvoir compter sur une majorité de 500 voix pour M. Rioux (Napoléon), il n’en fut rien car Charles-Eugène Pouliot est élu député libéral à l'Assemblée législative dans le comté de Témiscouata, grâce à une mince majorité de 81 votes, faisant mentir les prédictions de La Presse. Quant à Napoléon Rioux, ce n’est que partie remise puisqu’il sera élu en 1892 grâce à une majorité de 89 voix, succédant à Charles-Eugène Pouliot.
Courte biographie de Napoléon RIOUX (1837-1899)
Né à Trois-Pistoles, le 13 février 1837, Napoléon Rioux est le fils de Jean-Baptiste Rioux, cultivateur, et de Marcelline Chamberland. Après ses études à Trois-Pistoles, il devient cultivateur et marchand à Trois-Pistoles, mais aussi seigneur de L'Anse-aux-Coques et juge de paix. Napoléon Rioux a contribué à la fondation d'une société de colonisation à Trois-Pistoles, en 1869. Homme très actif au sein de sa communauté, il est tour à tour syndic de la construction de l'église de cette paroisse, fondateur et président de la Société Saint-Jean-Baptiste locale en 1876, commissaire d'école, secrétaire à la mairie en 1891. Napoléon Rioux s’intéresse aussi à la politique provinciale. Candidat conservateur défait dans Témiscouata en 1890, il est élu député conservateur dans la même circonscription en 1892, puis défait en 1897. |
Biographie de Charles-Eugène Pouliot (1856-1897)
Né à Fraserville (Rivière-du-Loup), le 19 décembre 1856, ce fils de Jean-Baptiste Pouliot, notaire, et de Sophronie Blais est le premier enfant à être baptisé par le vicaire général Langevin, curé de Saint-Basile de Madawaska, dans la nouvelle église de Saint-Patrice, construite au cœur du village de Fraserville. Il fait ses études au séminaire de Québec. Il étudie ensuite le droit auprès de M. Langelier à Québec, puis à l'Université Laval à Québec. Le 14 juillet 1879, il est admis au Barreau de la province de Québec. Charles-Eugène Pouliot exerce sa profession à Rivière-du-Loup. Il sera actionnaire de la Compagnie des eaux de Chicoutimi. Quelques années plus tard, il s’intéresse à la politique. Candidat libéral défait dans Témiscouata aux élections fédérales de 1887, il est élu député libéral à l'Assemblée législative dans Témiscouata en 1890, puis il est défait en 1892. Quatre ans plus tard, il est élu député libéral à la Chambre des communes. Afin que son épouse recouvre la santé, il la confie aux religieuses du petit hôpital, l’Hôtel-Dieu de Saint-Basile de Madawaska, au Nouveau-Brunswick. Charles-Eugène défraiera le coût de construction de la galerie devant les appartements de son épouse et fera d’autres dons aux religieuses en retour des bons soins qu’elles lui ont prodigués. Charles-Eugène Pouliot décède en fonction à Fraserville, le 24 juin 1897, à l'âge de 40 ans et 6 mois. Il est inhumé dans le cimetière de Saint-Patrice-de-la-Rivière-du-Loup, le 30 juin 1897. |