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Le Bas-du-Fleuve, berceau de la littérature québécoise

durée 8 octobre 2009 | 08h54
  • Par Claude La Charité

    Certains lieux nous habitent plus que nous les habitons. Ils servent à la fois d’élément déclencheur et de décor à notre imaginaire. Ce n’est plus alors notre conscience qui se projette sur le monde extérieur pour en faire un paysage mental. Ce sont les lieux qui s’imprègnent en nous.

    Cette adéquation entre l’esprit d’un lieu et l’imaginaire collectif évolue forcément dans le temps. Jusqu’à Nelligan, le Québec littéraire du XIXe siècle était hanté par les embruns de l’estuaire du Saint-Laurent, cette vaste région maritime qui court de Lévis à Gaspé. Victor-Lévy Beaulieu a d’ailleurs très justement écrit que le Bas-du-Fleuve avait inventé la littérature québécoise.

    Cette enquête inédite qui consiste à faire l’histoire des rapports entre la littérature et un lieu particulier s’inscrit dans ce que l’on appelle, dans le jargon, la géopoétique.
    Ce Québec maritime a été de fait le lieu de naissance d’une majorité de poètes, de romanciers et de conteurs de cette nouvelle littérature nationale qui s’invente alors dans le ressac créé par le rapport Durham. On peut penser ici aux figures de proue de ce qui sera l’École patriotique de Québec : Philippe Aubert de Gaspé, auteur des Anciens Canadiens (1863), né à Saint-Jean-Port-Joli; l’abbé Henri-Raymond Casgrain, premier critique de notre littérature, né à Rivière-Ouelle; Joseph-Charles Taché, fondateur de la revue Soirées canadiennes (1861-1865), né à Kamouraska; ou encore Louis Fréchette, poète national couronné par l’Académie française, né à Lévis.


    Photographie hors-texte de l’île au Massacre par J. Wilson, dans Joseph-Charles Taché, The Isle of the Massacre : A Tale of th Saint Lawrence, trad. William Carson Woods, Toronto, The Publishers’ Syndicate Limited, 1901.

    C’est une évidence, on ne choisit pas le lieu où l’on naît. Ce qui est frappant, toutefois, c’est de voir la prédilection de bon nombre d’écrivains de l’époque pour l’estuaire, qui s’y établissent à demeure ou pour les vacances estivales, qu’ils y soient nés ou non. Joseph-Charles Taché choisira de vivre à Rimouski de 1843 à 1857, où il composera l’essentiel de son œuvre littéraire. Le montréalais Émile Nelligan passera ses vacances en famille à Cacouna, où il écrira plusieurs de ses poèmes. Arthur Buies, né à Montréal, sera élevé par ses grand-tantes, seigneuresses de Rimouski, et reviendra par la suite dans la région comme reporter. Philippe Aubert de Gaspé fils, né à Québec, rédigera le premier roman de notre littérature, L’Influence d’un livre (1837), à Saint Jean Port Joli, en s’inspirant d’un meurtre commis à L’Islet quelques années auparavant.

    Plus significatif encore que ce goût pour une région riche en lieux de villégiature à la mode, apparaît le choix que font les auteurs du XIXe siècle de mettre en scène leur fiction littéraire dans l’Est du Québec. Dans le roman Charles Guérin (1846) de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, né à Québec, l’essentiel de l’intrigue se déroule sur la Côte-du-Sud. Louise, la sœur du héros, fait d’ailleurs un vibrant éloge de ce terroir et, entre autres, de Saint-Roch-des-Aulnaies, « d’où la vue s’étend si loin sur le fleuve, que l’on croirait que l’on pourrait voir jusqu’à la mer ». L’action du roman Angéline de Montbrun (1881-1882) de Laure Conan, originaire de Charlevoix, est située dans un lieu appelé Valriant, qui se trouve, dans la topographie imaginaire de l’œuvre, à proximité de Gaspé.

    Mais le Bas-du-Fleuve ne fait pas qu’offrir un cadre pittoresque aux œuvres littéraires. Il est aussi habité par des personnages plus grands que nature, à l’image de leur territoire. C’est le cas du père Ambroise Rouillard, desservant par le fleuve les paroisses de Trois-Pistoles et Rimouski. Dans Forestiers et voyageurs (1863), Joseph-Charles Taché relate comment, lorsque le récollet se noya en route vers Rimouski, le gobelet d’argent que le seigneur de Trois-Pistoles lui avait prêté fut miraculeusement restitué à son propriétaire. C’est aussi le cas de Toussaint Cartier que l’abbé Louis-Édouard Bois, originaire de Québec, met en scène dans le roman Toussaint Cartier, l’ermite de l’île Saint-Barnabé (1867) pour arriver à comprendre la force de caractère d’un homme qui vécut seul sur son île pendant quarante ans.
    Mais plus encore qu’un décor ou des personnages, le Québec maritime, pour la littérature québécoise du XIXe siècle, incarne surtout un art de vivre.

    Dans les chroniques d’Arthur Buies publiées dans les journaux, l’Est du Québec représente d’abord une longue suite de « places d’eau » pour les riches estivants qui, de Kamouraska au Bic, en passant par Cacouna, ont la chance de s’offrir une vie de luxe, de calme et de volupté en front de mer. Pour Aubert de Gaspé père, cette région, c’est d’abord son manoir familial de Saint-Jean-Port-Joli qui incarne à lui seul l’utopie sociale du régime seigneurial où les seigneurs, retirés aux champs, loin des soucis de la ville, vivent en symbiose avec leurs censitaires. C’est un coin de Nouvelle-France arc-bouté contre le temps qui s’écoule irrémédiablement et où la Conquête n’a jamais eu lieu.

    François-Magloire Derome, poète, journaliste, protonotaire né à Montréal et établi à Rimouski en 1857, résume le charme du lieu et sa convivialité, lorsqu’il décrit l’effervescence des touristes qui, arrivés en bateau à vapeur, veulent profiter des plaisirs balnéaires de sa ville d’adoption : 
      
      Si la marée est belle et l’endroit solitaire,
      Là vous pouvez revivre en un bain salutaire,
      Ou même, loin du bord, porteur d’un hameçon,
      Dans un léger esquif attendre le poisson.

    Derome évoque aussi l’exceptionnelle hospitalité de Pascal Taché, seigneur de Kamouraska, qui l’invita sans façon à sa table dès leur première rencontre, alors qu’il contemplait le point de vue depuis la grève devant le manoir : « J’étais, au bout de quelques minutes, installé dans les genévriers d’un massif de crans à position verticale, en deçà du point où la vague allait se rompre : je regardais la mer. Ce spectacle nouveau me charmait : le coup d’œil était ravissant. »

     Dans la représentation symbolique que les hommes et les femmes de l’époque se font de l’espace, l’estuaire du Saint-Laurent tient une place de choix. Les cartes géographiques représentent d’ailleurs les régions du Québec en fonction de la navigation maritime, de l’est vers l’ouest : d’abord la Gaspésie, puis le comté de Rimouski, puis celui de Kamouraska, etc. Cette représentation est aussi historique, puisque Cartier est d’abord arrivé à Gaspé.

    Comme la littérature au XIXe siècle avait pour fonction première d’exprimer l’identité nationale, le choix qu’a fait Laure Conan de situer, dans Angéline de Montbrun, Valriant à proximité de Gaspé se trouve, du même coup, éclairé.

    Le pèlerinage imposé par son futur beau-père à Maurice Darville, soupirant d’Angéline de Montbrun, est d’ailleurs très révélateur : « Aujourd’hui nous avons fait une très longue promenade. On voulait me faire admirer la baie de Gaspé – me montrer l’endroit où Jacques Cartier prit possession du pays en y plantant la croix. »
    La prédilection, sinon la fascination, des écrivains de l’époque pour le Bas-du-Fleuve, de Lévis à Gaspé, s’assimile en fait à une sorte de pèlerinage symbolique aux sources historiques du Québec.

    Note aux lecteurs
    Claude La Charité dirige présentement la Chaire de recherche du Canada en histoire littéraire et la revue Tangence, rattachées au Département de lettres de l’Université du Québec à Rimouski qui anime la publication depuis 1986. Il a obtenu en 2006, le Prix d’excellence en recherche du réseau de l’Université du Québec et, en 2008, un Prix de vulgarisation de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS).

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    commentairesCommentaires

    1

    • PB
      Pierre Bourgoin
      temps Il y a 14 ans
      Chronique réussie. Ce fut un excellent complément à mon travail de recherche. Bravo.
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