Bagarre générale

Ce souvenir est tellement bizarre qu’il ne semble avoir existé que dans ma tête. Au St-Pierre dans les années 90, alors qu’un tunnel, célèbre et dont j’ai parlé, aussi célèbre que… ah je ne sais pas… mais voilà le fameux Tunnel (ah voilà, assez célèbre pour qu’on lui mette une majuscule) et la fameuse phrase À quatre heures dans le Tunnel qui était notre À quatre heures au rack à bécyk  et a été pendant de longues années le « call » pour les bagarres ; alors que ce tunnel existait toujours, un affrontement qui devait un peu régler le sort du monde a eu lieu à Rivière-du-Loup à l’endroit exact où est le rond de patinoire aujourd’hui en face du cégep. Aucune idée ce qu’il y avait là avant. Un parking? Un terrain vague? En tout cas je pense que tout le monde comprend c’est où.

Exact, à côté de la maison des jeunes.

Un gars, on ne le nommera pas mais je me suis toujours demandé comment… pourquoi il avait monté cette histoire… fabriqué ce scénario… et c’est un foutu bon gars, je ne l’ai pas vu depuis longtemps, mais je l’ai connu après dans des trucs de GN médiéval… bref c’est un détail et… voici la chose : une mêlée générale devait opposer les deux clans, les deux « gangs » de l’école soit les skateurs et les punks. Une sorte de bagarre ultime qui permettrait de décider… bon on ne savait pas trop quoi, quelque chose comme : Qui a raison. Raison sur quoi? On ne savait pas trop non plus. Mais tout le monde, absolument tout le monde parlait de cette bagarre. Ça devait avoir lieu un midi. À midi pile je pense, presque au son de la cloche de l’église St-François pas trop loin en haut de la ville.

Après les cours du matin, chacun a couru vers le stand a frite-sauce ou a mangé sa sandwich au pain blanc presque à même le sac ziploc tellement on était excités. On connaissait un peu les « chefs » des deux gangs, des gars très « cool » il va sans dire et on était curieux, le mot est trop faible… on était hilare? On était… c’était comme si le Seigneur en personne allait descendre et nous parler d’en haut de la côte St-Pierre et nous dire : Messieurs les jeunes hommes, Mesdames les jeunes femmes, alors voilà : les punks ont raison ! Ou, les skateurs ont raison ! ou sont les plus forts… on ne savait pas, toujours pas, mais on aurait enfin une réponse à une question, fait rare dans une école (pensait-on… une réponse à une vraie question qui nous intéressait je veux dire).

Les 2000 élèves que nous étions à l’époque se sont rués dehors (c’était l’été-printemps il me semble… on va dire avril ou mai…) et la grande salle s’ennuyait de ses pongistes. Personnellement, je n’avais aucune gang ou disons que je n’appartenais à aucun clan quoique, par défaut, à cause des autres gars dans ma classe, j’étais plus proche des skateurs… mais assez loin aussi. Les punks étaient vraiment inaccessibles… dans le sens où… ils avaient pas mal de gueule nos punks et ça prenait du cran pour en être un, chose qui me manquait terriblement.

Vers 11h55… toute l’école, tous les élèves sont réunis autour des deux clans qui se font face. Ça va péter mes amis et si on avait su jouer du tam-tam, je suis pas mal sûr qu’il y en aurait eu, des sons de tam-tam. Les chefs étaient un peu en avant de leur gang… et… le gars qui avait organisé la bagarre… un gars en plus vraiment mais vraiment dans aucune des deux gangs… grand, mince, désorganisé physiquement (comme nous tous à l’époque… mais lui un tantinet plus)… ce gars donc qui avait, telle une sorte de… ah comment dire… manitou en t-shirt rouge (il me semble que son t-shirt était en effet rouge ce jour-là…)… c’est comme si son rêve avait toujours été de savoir qui étaient les plus forts et c’était aussi notre rêve mais lui il avait eu le culot ou la folie ! voilà, la folie de répandre des rumeurs… de semer le doute… ah je ne sais vraiment pas comment il a fait son compte… à l’époque il avait été jugé… assez mal… mais aujourd’hui, avec le recul… c’était un coup de génie… bon les bagarres c’est pas super, mais sa mise en scène… digne d’un prix…

Il sort comme du lot, se retrouve au milieu du milieu, un peu comme un arbitre qui va baisser le bras et dire : attaquez-vous ! et nous… on saurait enfin qui a raison ! Qui sont les plus forts.

L’angoisse, la tension était si intense… il n’y avait pas de tam-tam comme je disais mais… le bruit de nos cœurs qui battaient à l’unisson devait faire une certaine job… on allait enfin savoir !

Les deux « chefs » se sont avancés. Une discussion du genre As-tu un problème avec moé toé?

Non, toé?

Non.

Non?

Naaaaaon?

Attendez… il n’y aura pas de bagarre? Et nous là-dedans ! Les spectateurs ! Pensez aux spectateurs… on veut… savoir…

Les deux se tournent vers le gars au t-shirt rouge. Lui… dire qu’il est à ce moment le centre d’attention c’est comme dire qu’une pomme rouge est rouge… il avait d’ailleurs aussi les joues très rouges il me semble…

Pis toé?

Holyshit.

Le « chef » des punks lui adressait la parole. C’était comme si le Pape apostrophait un curé à botch.

Paf ! Une claque dans face.

Ça a fini de même.

Personne n’avait de problème avec personne et nous on ne saurait jamais. Rarement été aussi déçu.

Après… la vie a continué mais je suis resté avec cela en tête… beaucoup de gens aussi je crois…

Lui… ah je ne sais pas… ça été bizarre un peu après mais…

On va dire que la morale de l’histoire c’est : inventer des problèmes aux gens qui n’en ont pas ensemble, contre, c’est poche.

Et nous… ben on n’a jamais su hein !