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Vertige

durée 23 février 2019 | 09h17

À la mémoire de mon ami Félix, parti trop tôt

Une seule fois dans ma vie j’ai pensé au suicide.

Au secondaire, les drames se jouent sur pas grand-chose. Des détails. Des relations. Des choses mal exprimées ou plus simplement pas exprimées.

Je me faisais… je ne sais pas si le mot sera juste… je ne veux pas dire intimider… disons un peu maltraiter par un « ami », un gars de notre gang. S. Oh c’était pas grand-chose. Un surnom un peu méchant, P’tit criss. Des bines. Je ne répliquais pas ou rarement. Faiblement. Ça frappait assez fort, mais rien de grave non plus. C’était pas le geste, la force. C’était le « devant les autres ». Une accumulation d’humiliations. On va y aller avec ça.

J’avais un plan diabolique. À l’époque, les étudiants du programme international allaient en République dominicaine pour un voyage « humanitaire ». J’en faisais partie. J’y reviendrai peut-être pour les détails. À la fin disons.

Je me disais que j’allais me jeter en bas de l’avion une fois dans les airs. Drôle de plan. Bien sûr, aujourd’hui, avec le recul, ça me semble d’une absurdité terrible. Mais bon. C’était mon plan de jeunot. Je voulais écrire une note du genre : j’ai fait ça à cause de lui. Je voulais que mes proches me vengent. J’étais peut-être juste trop lâche pour le faire moi-même. Quand je me faisais « maltraiter », brasser disons, personne ne faisait rien. Personne ne me défendait. Bien sûr, il était plus fort que moi, mais pas tant que ça non plus. J’aurais peut-être pu m’arranger moi-même, mais chaque fois… c’était comme si il n’en faisait pas assez, pas exactement assez pour que je pète les plombs. Juste sur la limite, toujours,

Aux cases. Tout se passe aux cases au secondaire. On parlait de je sais plus quoi. Des profs. Des devoirs. De la fin de semaine. Des filles. Du skate. Du cours d’éduc. Impossible de ne pas penser à ce fameux t-shirt de NOFX : White trash, two heabs and a bean. Une bine. Un coup de poing sur le bras. Genre on lit le t-shirt et après quelqu’un en prend une. Mais c’était normal. Drôle même. Quand on frappait les autres. Quand il frappait les autres.

Et pourtant… il n’était pas fort. Je ne sais pas comment expliquer ça.

Bref je voulais lui faire mal par l’entremise de mes proches. Je voulais que mon frère, que je sais pas qui, lui casse la gueule. Après. Après ma mort. Comme si tout ce que j’avais à offrir était ma vie pour me venger.

D’une coupe de bines.

Alala, aujourd’hui, ça me semble… terrible. D’y avoir même pensé. De ne pas avoir agi, moi. Le meilleur secours ne vient-il pas de… soi-même? Une vraie aide. Une aide qui rapporte.

C’est toujours ce discours dans les histoires d’intimidation. Et il est vrai. Tu as un problème? Règle-le parce qu’après… tu seras mieux. Si une autre personne te sauve la vie… tu vas toujours compter sur ça ensuite. C’est difficile, terrible même. Mais quel sentiment après.

Finalement, visiblement, je ne me suis pas jeté en bas de l’avion (j’imagine les hôtesses de l’air voir un jeune de 15-16 ans essayer d’ouvrir une porte en plein vol…). J’ai fait d’ailleurs un très beau voyage mais bizarrement, aujourd’hui, j’en garde un vertige terrible dans les avions. Comme si j’allais le faire, encore. J’ai pas envie, mais comme si.

Un peu plus tard, deux ans après je crois, un ami d’enfance, Félix, s’est suicidé. J’étais à ce moment à Sorel, je faisais le programme Jeunesse Canada Monde. Ma mère m’avait appelé pour m’annoncer la nouvelle. Je m’en souviens comme si c’était hier. Autour de moi il y avait des dessins d’enfants (je ne sais pas pourquoi, j’étais chez les hôtes d’amis et ils avaient peut-être des neveux ou je sais pas) et j’ai raccroché et je me suis mis à pleurer. Je suis sorti dehors, j’ai marché autour du bloc, un carré de rue. Il pleuvait.

Je pensais… c’est si terrible de s’enlever la vie pour se venger. Oh, à la limite, à la grosse limite, on peut penser que ça marche. S aurait sûrement eu pas mal de souci avec mes parents. Oh lala, je n’ose même pas imaginer… mais qu’est-ce que ça aurait changé… pour moi, de là-haut?

Bizarrement, c’était aussi, je parle de S, le gars le plus généreux que je connaissais. Dès qu’il avait quelque chose, il le partageait en deux. Sa bouffe. Peu importe. Il ne savait pas, bien sûr, tout le drame qui se jouait pour moi, pour les autres qu’il harcelait. Il était juste mal, mal à l’aise en public et il avait trouvé ça pour pallier. Faire mal. Humilier.

Félix, c’était une histoire d’amour. Je n’en connais pas les détails. N’ai jamais osé demander. Même ça c’est terrible. Non seulement il n’y a pas de témoin, mais même l’histoire… elle est tellement tragique qu’on ne veut, peut plutôt, même pas la savoir, la connaître.

***

Les personnes en détresse psychologique ainsi que leurs proches peuvent obtenir de l'aide en tout temps en composant le 1 866 APPELLE (277-3553).

 

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