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Une nuit pour l’éternité

durée 14 décembre 2016 | 16h42
  • Info Dimanche
    Par Info Dimanche

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    Un conte de Noël de Richard Levesque

    Toute la ville ressemble à un gros arbre de Noël. Les lampadaires et les vitrines scintillent des mille couleurs de l’arc-en-ciel, avec une dominante jaune pâle.  Quelques flaques de glace miroitent, parfois bleues comme des bonbons clairs, parfois sales comme la fumée d’échappement des autobus.  Même les panneaux de signalisation ont l’air d’étiquettes pour cadeaux.  Pourtant le ciel est gris, uniformément gris.  Comme l’humeur de Georges.

    Georges marche pesamment, la casquette enfoncée jusqu’aux yeux, les mains enfoncées dans les poches de son vieux blouson rouge, le souvenir de Jeanne enfoncé dans le creux de l’âme.

    Il s’engage dans la rue principale, longe les façades jaunes et bistres, traverse au coin et s’arrête un moment pour souffler.  Dans son dos les autos roulent avec un chuintement léger et souvent laissent échapper des bribes de chansons joyeuses à travers leurs vitres fermées.  Des piétons se dépêchent, les bras chargés de paquets, les yeux pleins de sourires.

    Georges n’a ni paquet ni sourire.  Il est seul, il restera seul toute la soirée, toute la nuit... toute la vie, tiens!  N’être pas avec Jeanne, c’est être tout seul.

    Un mouvement attire son œil:  accroché à la façade d’une librairie, un drapeau s’agite dans le petit vent d’est.  Georges s’approche.  Le libraire a monté toute sa vitrine avec des livres sur Noël:  les contes de Dickens, les lettres de Tolkien à ses enfants, des manuels sur l’art de confectionner couronnes et guirlandes, la légende de saint Nicolas, des catalogues, des crèches en carton, des paysages de neige en puzzles.

    —Jeanne, oh! Jeanne, tu pleurais en lisant les contes de Noël.  Tu voulais toujours me faire partager ton émotion et tu commençais à me dire des passages à haute voix, mais ta voix se brisait après un moment et c’est moi qui continuais la lecture et tu souriais de bonheur en même temps que sur tes joues coulaient comme des perles salées...

    À côté de la librairie, il y a une petite pâtisserie.  Un lourd parfum de pain chaud, de café frais et de cannelle saute aux narines de Georges quand il passe devant la porte ouverte.  C’est qu’il fait chaud là-dedans!  La pâtissière a ses bonnes joues toutes rouges et le commis transpire un peu sous son bonnet de coton blanc.

    —Jeanne, oh! Jeanne, nous avions mangé des gâteaux dans une petite pâtisserie comme celle-ci, une autre veille de Noël, il y a... combien d’années?  Combien de siècles?  Il y avait un chien dehors qui tremblait en reniflant toutes les odeurs et tu lui as donné un bout de pain et tu l’as ramené chez nous et bien plus tard quand il est mort je l’ai enterré sous le lilas et tu as toujours dit que le vent dans le lilas gémissait comme un vieux chien quand il a froid et qu’il a faim.

    Un enfant passe en courant, tirant derrière lui un traîneau plein de bouteilles vides.  Georges commence à grelotter.  Son vieux blouson rouge n’est pas très bien doublé, son pantalon de grosse toile est mouillé de neige fondue, il n’a que de minces chaussettes dans ses bottes de caoutchouc.

    —Jeanne, oh! Jeanne, nous aimions tant nous réchauffer l’un l’autre en nous serrant très fort!  Je faisais exprès de m’habiller trop légèrement, pour avoir froid, pour me réfugier dans la chaleur de ton corps en entrant dans la cuisine et tu riais quand j’étais barbouillé de farine et tu me dessinais des moustaches avec de la mélasse.

    Georges arrive au fond de la rue.  Sur sa gauche, il distingue vaguement la tache plus sombre d’une porte au bas d’un court escalier encaissé.  Il descend les quelques marches, pèse sur la clenche et la porte s’ouvre.  Georges hésite un moment puis s’enfonce dans la gueule noire qui l’avale tout entier.  Il referme la porte et se retrouve dans l’obscurité totale.

    —Jeanne, oh! Jeanne, tu avais peur du noir et nous faisions exprès pour fermer toutes les lumières dans les pièces sans fenêtres.  Tu te blottissais contre moi en frissonnant et je faisais naître des étincelles en caressant tes cheveux...

    Après un moment ses yeux sont habitués à l’obscurité; Georges entrevoit des étagères le long des murs avec des boîtes de conserve, la masse pesante d’une fournaise sur sa gauche avec son odeur de métal chaud, plus loin quelques meubles où sont rangés des pots à fleurs, des outils, des bouteilles.  Il y a une vieille berçante près de la fournaise.  Georges s’y assied avec un soupir d’aise et tend ses pieds et ses mains vers la chaleur.

    —Jeanne, oh! Jeanne, tu voulais te faire bercer comme une enfant.  Tu t’assoyais sur mes genoux, tu posais ta tête sur mon épaule et tu jouais avec les boutons de ma chemise pendant que je te chantais tout bas les vieux airs que tu aimais tant.  Tu étais si légère que je pouvais te garder ainsi pendant des heures et parfois tu t’endormais et je continuais à te bercer tout doucement et je me souviens qu’une fois j’étais si heureux que je pleurais de joie mais j’ai bien essuyé mes larmes avant que tu te réveilles pour ne pas que tu penses que j’avais du chagrin.

    Georges a fermé les yeux et il s’endort, les bras croisés sur la poitrine, la tête penchée sur son épaule.  Dans la cave obscure, sa respiration fait un tout petit bruit.

    —Jeanne, oh! Jeanne, tu étais belle comme la Fée des étoiles.  Nous nous sommes rencontrés une nuit de Noël, il y a combien d’années?  Il y a combien de siècles?...  Tu étais mon cadeau, tu étais mon Noël, chaque jour avec toi fut un jour de Noël.
    Dans l’obscurité de la cave Georges n’a pas bougé.

    —Jeanne, oh! Jeanne, tu as toujours eu peur que je parte le premier, que je te laisse seule.  Alors j’ai retenu ma vie, je t’ai tenu la main jusqu’à ce que tu t’endormes dans un dernier sourire. J’ai tout réglé, ma Jeanne, comme tu voulais.  Il est temps maintenant que j’ailles te retrouver.  Ce sera le soir de Noël, comme il y a... combien d’années?  Combien de siècles?  Et cette fois-ci ce sera pour l’éternité...

    Dans l’obscurité de la cave Georges frissonne un peu, ses bras se dénouent, ses mains tombent, ouvertes, sur ses genoux.  Le tout petit bruit de sa respiration s’affaiblit, puis s’éteint.


    Quand on a trouvé le petit vieux trois jours après Noël, personne n’a compris comment ni pourquoi il était allé mourir dans la cave de sa propre maison.

    (Extrait de Contes et menteries du Bas-du-Fleuve,
    pages 70 à 76)

     

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