La volonté du gouvernement du Québec de remettre à l’étude le projet de prolongement de l’autoroute 20 au Plan québécois des infrastructures (PQI) n’a surpris personne à quelques mois des élections, encore moins Mikaël Rioux, un des membres du comité citoyen «Le Pont de la 20, ça tient pas debout». Le citoyen de Trois-Pistoles y voit avant tout de l’opportunisme politique et craint que cette décision traduit un manque de vision à long terme.
Quelques minutes après l’annonce, effectuée dans le cadre du dépôt du budget provincial, le militant – bien connu pour les combats environnementaux qu’il a menés dans la région et ailleurs au Québec – était d’ailleurs de retour dans l’action afin de recruter des personnes intéressées à se mobiliser contre le projet.
«On veut mettre en place un premier comité qui aura le mandat de recruter d’autres personnes», a-t-il expliqué, mercredi, au sujet d’une rencontre de réseautage à venir. «Beaucoup de gens de la région veulent s’impliquer pour cette cause-là, et ça fait changement d’il y a 20 ans où on ne comptait que sur une poignée de personnes. On veut aussi aller voir les gens tout le long du tracé. On sait qu’il y a l’opposition à St-Fabien et le Bic, par exemple. On veut donc rallier tout le monde et déjà se mettre en marche chacun dans nos territoires.»
Le comité citoyen «Le Pont de la 20, ça ne tient pas de bout» existe depuis près d’une décennie dans la région. Dans les dernières années, il avait attiré l’attention lors d’une sortie en règle pour dénoncer ce grand projet routier soutenu par les quatre principaux partis politiques en 2018.
Depuis, le groupe a continué d’archiver et de commenter l’actualité sur sa page Facebook, mais était peu présent sur la place publique…jusqu’à maintenant. La décision du gouvernement, attendue par de nombreux élus et acteurs socio-économiques du Bas-Saint-Laurent, pour des raisons de sécurité publique et développement économique, a remis le débat à l’avant-plan dans l’Est-du-Québec.
«C'est inquiétant, mais la panique n'est pas prise non plus, puisque ce n’est pas demain matin que les bulldozers vont débarquer […] On sait que ce sera une lutte longue et éprouvante, mais on veut participer à la réflexion qu’on doit avoir.»
«UN PROJET INSENSÉ»
Le temps qui passe n’a cependant pas changé d’une miette le discours des opposants au prolongement de l’autoroute 20. Quelque part, la crise climatique et la réflexion sur la dépendance collective au pétrole ont peut-être même solidifié leur argumentaire, estiment-ils.
«On trouve qu’à l’heure de l’urgence climatique, c’est ridicule et insensé de mettre autant d’argent dans l’asphalte. C’est une vision des années 70, alors qu’il faut se projeter dans l’avenir», souligne Mikaël Rioux. «Ce projet va prendre plus d’une décennie à être réalisé et il va couter presque un milliard de dollars. Où serons-nous au niveau climatique, de l'urgence environnementale, des coûts? Est-ce que ce sera vraiment ça le plus urgent?»
Mikaël Rioux se questionne aussi sur les études qui seront menées avec les sommes prévues au budget, puisque la volonté de Québec n’a pas encore offert de précisions à ce sujet. «Il faudra plus de transparence et vite. Est-ce qu’on recommence à zéro? Est-ce qu’on compte aussi réactualiser l’étude sur le pont et le prolongement jusqu’à la route 293, ce qui avait déjà été fait? On n’a pas ces informations-là en ce moment.»
PRIORISER LA ROUTE 132
Le comité citoyen est d’avis que les nouvelles études et analyses devront impérativement inclure une comparaison exhaustive entre le prolongement de l’autoroute 20 et l’amélioration de la route 132 . «Ces études doivent définir les besoins nécessaires et les actions à prendre pour assurer la pérennité, l'amélioration et la valorisation de cette route», croit Mikaël Rioux.
«Les infrastructures routières de l'Est-du-Québec sont directement menacées par les changements climatiques. Sachant que le gouvernement s'apprête à étudier la situation, nous pensons que la priorité doit être mise à s'assurer d'avoir les ressources financières nécessaires à la protection et à l'entretien des infrastructures déjà existantes, et ce avant tout projet de nouvelles routes», a-t-il ajouté.
Philippe Guilbert, maire de Trois-Pistoles, voit aussi les choses de cette façon. Et c'est pourquoi il croit que l’inscription du projet de prolongement de l’autoroute 20 au PQI est nécessaire. Elle pourra permettre la mise à jour les études et l'obtention de nouvelles expertises en ce sens, se dit-il.
«C’est un peu ce qu’on voulait, parce que ça va nous permettre d’avoir des données actuelles de la situation. Depuis les dernières études, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et beaucoup de choses ont changé dans nos mentalités quant aux changements climatiques et au développement du territoire. Je crois que les données vont nous permettre de montrer qu’il y a d’autres alternatives, que l’autoroute 20 n’est pas la meilleure solution», a-t-il partagé.
Depuis son élection, il a toujours maintenu que le prolongement de l’autoroute 20 aurait un impact négatif sur la vitalité économique de la ville de Trois-Pistoles qu’il souhaite protéger. L’exemple local de L’Isle-Verte est une indication de ce qui pourrait attendre Trois-Pistoles, craint-il. «On savait qu’il y avait de risques avant de réaliser le dernier tronçon […] et la réalité a prouvé que ces inquiétudes étaient fondées.»
Philippe Guilbert ne cache pas appuyer le comité «Le Pont de la 20, ça ne tient pas de bout», notamment parce qu'il constate que son objectif n’est pas seulement de monter le poing en l’air et de manifester. «Je pense que la démarche est bonne. Elle va au-delà de la prise de position. Il y a une volonté de comprendre les enjeux, d’amener des solutions, de faire des propositions et j’embarque là-dedans. Le débat est nécessaire.»
PRÊT À SE METTRE EN ACTION
Quoi qu’il en soit, le mouvement citoyen sera prêt à se mettre en marche rapidement, même s’il estime avoir un peu de temps devant lui pour bien préparer ses arguments et poursuivre sa mobilisation.
«On estime que ça prendra quelques années pour que ça avance. Mais si tout déboule rapidement, on sera là», assure Mikaël Rioux, qui précise ne pas avoir l’ambition d’être la tête d’affiche de ce nouveau combat «David contre Goliath».
Le citoyen, fidèle à lui-même, ne rejette toutefois pas l’idée de faire un coup d’éclat ou deux, si nécessaire. «Avec un ami, on a déjà des idées de tyroliennes géantes, si jamais les bulldozers ressortent», laisse-t-il tomber, faisant un clin d’œil à une action passée pour la sauvegarde de la rivière Trois-Pistoles.