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Le Père Noël à Trois-Pistoles

durée 22 novembre 2012 | 13h44
Qu’est-ce que le Père Noël pouvait bien faire, un 15 juillet, sur le quai de Trois-Pistoles?  La question courait de la rue du Parc à la rue Pelletier, de la rue Notre-Dame à la rue Jean-Rioux.  En fait la question courait depuis qu’un galopin avait vu le Père Noël près de l’embarcadère du traversier; observateur en diable, le garçonnet avait tout de suite reconnu le personnage malgré son costume inhabituel : bermudas de toile, chemisette de golf et chapeau de paille.



D’ailleurs tous les curieux accourus sur le quai étaient d’accord : on ne pouvait pas ne pas le reconnaître du premier coup d’œil.  La bedaine réjouie, la barbe blanche, les cheveux de neige sous le chapeau à larges bords… Le Père Noël en costume d’été restait indéniablement le Père Noël.  S’il avait subsisté le moindre doute, il se serait envolé à la vue de ses compagnons : une jolie dame avec des étoiles plein les yeux et un drôle de petit bonhomme avec de longues oreilles.

Vraiment bizarre, le petit bonhomme!  Non seulement son habit était brodé de clochettes, mais en plus il était attelé à une sorte de traîneau recouvert d’une bâche…


Qu’est-ce que le Père Noël pouvait bien faire, un 15 juillet, sur le quai de Trois-Pistoles?  Personne n’osait le lui demander carrément.  Malgré ses bonnes joues rouges et son gros rire, le Père Noël en imposait.  Et la Fée des Étoiles avait beau n’être vêtue que d’une petite robe de coton, on n’en sentait pas moins qu’elle était une princesse.  Quant au lutin, qui sait quelle farce il aurait pu faire à l’audacieux qui aurait osé lui poser des questions?

Alors les curieux en étaient réduits à forger des hypothèses.  Pour l’un, le Père Noël venait chercher un emplacement pour bâtir un entrepôt de jouets.  Pour l’autre, il venait questionner les baleines pour décider s’il allait continuer à distribuer des étrennes aux membres de l’équipe Cousteau… ou s’il n’allait pas plutôt confier ces gens-là au Père Fouettard!

Une bonne dame prétendait que le Père Noël et la Fée des Étoiles étaient en voyage de noces.  Mais cette idée farfelue ne provoqua que des rires.  Chacun sait que le Père Noël et la Fée des étoiles sont frère et sœur.

— Le monde qui sait pas c’est toujours ben vite pour se faire des accroires! grommela une voix un peu enrouée par la fumée de pipe.

Un barbu s’avança, chapeauté de feutre et l’œil noir sous ses verres fumés.  On fit cercle autour de lui, car on lui savait bien des connaissances, sinon de la sagesse, et puis il avait coutume d’intéresser par ses étranges façons de parler. Ce barbu chapeauté avait été surnommé Bouscotte quand il était jeune; c’est qu’il était bien malcommode.  Sa maman, devant ses frasques répétées, levait souvent les yeux au ciel en soupirant « race de monde! »

— Que le Père Noël soit ici aujourd’hui, dit-il, ça n’a rien pour me revirer dans ma bougrine.  Il doit être tanné par devers les froidures du Pôle Nord, je peux comprendre ça.  Ben évidemment qu’il a choisi les Trois-Pistoles pour se réchauffer les pleumas…

— Penses-tu qu’il va rester longtemps par ici? demanda un grand chauve, responsable des promotions touristiques de la municipalité.

— Il arrivera juste ce qui est pour arriver, répondit le barbu chapeauté.  On sait jamais ça avant, juste après.  Je vas aller leur parler.

Il s’avança vers le trio des visiteurs et bientôt le grand bonhomme à barbe blanche, avec son chapeau de paille, se trouva en conversation avec l’autre bonhomme à barbe poivre et sel, avec son chapeau de feutre et ses verres fumés.  La conversation dura quelques minutes et fut interrompue par l’arrivée du traversier, sur lequel montèrent le Père Noël et ses compagnons.

Le barbu local revint vers ses concitoyens et entreprit de leur raconter ce qu’il avait appris :

« — Le lutin que vous avez vu avec le Père Noël et la Fée des Étoiles, ce n’est pas n’importe quel lutin.  C’est le lutin-renne.  Déjà, quand il était jeune, il avait tendance à se prendre pour un renne.  Il s’est toujours amusé à porter un attelage avec des clochettes et à tirer un petit traîneau.  Le Père Noël n’a pas pu l’employer aux usines de jouets, parce qu’il dérangeait les autres lutins avec ses ruades et ses bramements.  Pourtant il était très adrette de ses mains : quand par accident un autre lutin brisait ou abîmait un jouet, on n’avait qu’à apporter les morceaux au lutin-renne, et celui-ci réparait tout ça en criant lapin.

« Il faut que je vous dise que le Père Noël et la Fée des Étoiles ont remarqué, depuis longtemps, que certains parents n’ont pas beaucoup d’argent; parfois dans leurs maisons on manque de l’essentiel, et ce serait humiliant, pour ces parents, de voir leurs enfants déballer des bébelles flambant neuve le matin du 25 décembre, tandis qu’ils n’ont pas toujours de quoi manger et que leur linge est rapiécé.

« Pour ménager la fierté de ces parents, le Père Noël a eu l’idée de donner à leurs enfants des jouets qui ont déjà servi, mais qui sont encore ben beaux et ben amusants.  Il a confié une importante mission au lutin-renne : du mois de janvier jusqu’au mois d’août, il ramasse tous les jouets cassés ou maganés et les entasse dans un bas-côté de l’usine des poupées, que l’on a surnommé le bric-à-brac.  À partir de septembre, le lutin-renne s’enferme dans son bric-à-brac pour les réparer, les repeinturer, les ramancher.

« Les enfants, c’est pas comme les grandes personnes : ils n’ont pas de vanité.  Pour eux-autres, l’important, c’est de s’amuser et d’être heureux.  Alors qu’un jouet soit flambant neuf ou bien qu’il sorte du bric-à-brac du lutin-renne, ça ne leur fait pas un pli sur la différence.  Pourvu qu’ils s’amusent, tout est diguidou right trough dessus la bine.

« Seulement vous savez ça: d’année en année, il y a de plus en plus d’enfants sur la Terre, et les jouets sont de plus en plus compliqués.  Le lutin-renne ne suffisait plus à la tâche.  Il fallait qu’il se trouve de l’aide.  Au Pôle Nord, tous les autres lutins travaillent déjà dans les ateliers ou dans les écuries des rennes.  Alors il a demandé au Père Noël la permission de descendre vers le Sud pour se chercher des assistants. »

Le barbu chapeauté s’interrompit pour allumer sa pipe.  Un badaud en profita pour demander :

Et puis, il en a trouvé, de l’aide?

— Ben évidemment, répondit le barbu.  Si tu te fermes le mâche-patates, je vais te conter la fin de l’histoire…

Il tira deux ou trois bouffées et reprit :

« — En se promenant d’une ville à l’autre, le lutin-renne a remarqué qu’il y a des gens souvent ben adrettes qui passent, des fois, leurs grandes journées à s’ennuyer et à se tourner les pouces.  Ces gens pourtant ne sont ni des flancs-mous ni des pissous, bien au contraire!  Car leur métier, c’est d’éteindre les feux, de sauver les gens et parfois les bêtes en péril, bref de veiller sur les autres.

« Mais comme, heureusement! il n’y a pas toujours des feux à éteindre, il arrive que les pompiers passent de grandes escousses dans leurs casernes sans avoir rien à faire qu’attendre la prochaine alarme.  Ça fait que le lutin-renne a eu l’idée de leur demander de l’aide pour ramasser et réparer les jouets cassés, dépeinturés, grafignés, défuntisés.  Les pompiers ont accepté bien volontiers.  C’est comme ça qu’astheure, dans beaucoup de foyers, des enfants peuvent avoir de ben beaux jouets le matin de Noël sans que ça soit humiliant pour leurs parents. »

Le barbu chapeauté se tut et souleva ses verres fumés pour mieux voir le traversier qui s’éloignait, là-bas, vers les Escoumins.  Dans le groupe des badauds, il y eut des murmures.  Le grand chauve s’avança au premier rang et demanda d’un ton narquois :

— C’est bien beau ton histoire, Bouscotte, mais ça ne nous dit pas ce que le Père Noël pouvait bien faire, aujourd’hui, un 15 juillet, sur notre quai des Trois-Pistoles?

— Ah! c’est ça que vous voulez savoir? grommela le barbu.  C’est ben simple : chaque été le lutin-renne fait sa tournée des casernes de pompiers.  Cette année le Père Noël et la Fée des Étoiles ont décidé de prendre quelques jours de vacances et ils sont venus avec lui.   Comme je le disais tantôt, ils étaient tannés par devers les froidures du Pôle Nord.  Ils sont passés par les Trois-Pistoles pour se réchauffer les pleumas dans le bleu de notre ciel.

Il rabaissa ses lunettes noires, vida sa pipe sur son talon et conclut :

— Vous pourrez toujours conter ça à vos petits-enfants.  Ça leur fera un bel héritage…


Tiré de : Contes et menteries du Bas-du-Fleuve

commentairesCommentaires

8

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  • MT
    M. Thériault
    temps Il y a 11 ans
    C'est amusant et c'est vraiment bon.

    Je me demande si VLB va lire ça!
  • L
    Lectrice
    temps Il y a 11 ans
    J'aime l'humour qui se dégage de ce conte. Il nous fait rire "par dévers" certain langage tout en restant respectueux envers l'écrivain de Trois-Pistoles...
  • VT
    Val T
    temps Il y a 11 ans
    C'était plaisant, c'était comme si on y était!
  • R
    Richard
    temps Il y a 11 ans
    Merci @ tous les trois (toutes?)... Vous m'encouragez! Or vos encouragements sont mon seul salaire, vous savez.
  • MP
    Marie Paquet
    temps Il y a 11 ans
    Bien sûr que je vais raconter ce conte à mes petits-enfants...je vais aussi leur parler de ce lutin qui a grandi trop vite...

    Tout comme M.Thériault, je suis bien chanceuse de travailler dans l'atelier d'écriture de ce lutin...

    Marie P
  • LPT
    Louis-Philippe Thouin
    temps Il y a 11 ans
    Savoureux!
    Délectable!

    Quel plaisir que de te Lire, Richard, et, pour reprendre ce Refrain...

    ... cet ancestral Plaisir de Raconter et d'écouter Raconter!

    (puisque "Lire", c'est un peu et beaucoup: "Entendre" Raconter dans sa Tête... la petite voix sonore... qui transcende l'Espace et le Temps... puisant dans l'Imaginaire, qui est un autre merveilleux artefact produit par la danse de nos neurones et leurs échanges synaptiques...)
  • R
    Richard
    temps Il y a 11 ans
    Ah! Marie et Louis-Philippe, quel plaisir de lire que vous avez lu mon conte... avec plaisir!
  • P
    Pistoune
    temps Il y a 11 ans
    Un vrai beau conte du bas du Fleuve, différent de tout ce qu'on a lu et entendu depuis notre enfance. Félicitations à l'auteur. Un grand raconteur, ce Richard...
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