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Les grelots de Grello

durée 16 décembre 2015 | 05h44

Je pourrais vous raconter une aventure arrivée au lutin Kling, cet ex-collègue investi de la lourde responsabilité d’accorder les grelots qui tintinnabulent sur les harnais des rennes.

Tiens!  La fois, par exemple, où ce coquet de Rudolph avait voulu peindre en vert et en rouge tous les grelots de son harnais, sous prétexte que ces couleurs allaient mieux avec les teintes de sa crinière et de son nez…

Mais bien sûr, ce fut un désastre.  Car un grelot peint ne « sonne » plus du tout comme un grelot naturel.  En fait, les grelots de Rudolph ne sonnaient plus guère, englués qu’ils étaient dans la peinture dont il les avait maladroitement badigeonnés!
Kling a fait une colère…  Toute une colère!  On peut le comprendre :  il lui a fallu tremper chaque grelot dans la térébenthine pendant des heures, puis les gratter, puis les brosser.  Ensuite nettoyer toutes les petites cavités avec une mince lamelle.  Puis, bien sûr, réaccorder tout ça à menus coups de très fines limes, jusqu’à ce que les grelots chantent de nouveau en harmonie…

Peut-être vous demandez-vous pourquoi le lutin Kling a dû se donner tant de mal pour « décaper » les grelots de Rudolph…  N’aurait-il pas pu les remplacer par des neufs, tout simplement?

Justement, ce n’est pas si simple!  Ce que vous ne savez pas encore, c’est que les grelots du Pôle Nord ne sont pas des grelots ordinaires.  Ils ne sont pas fabriqués avec un métal courant comme le fer, l’aluminium ou l’étain.

Ces grelots-là ont été fondus à partir d’un morceau de comète qui est tombé sur la Terre il y a des siècles et des siècles…  Une météorite, comme disent les savants.  Oh!  Pas une grosse roche cosmique : juste un petit morceau de métal pur, gros à peu près comme deux têtes de lutin.  C’est en Laponie qu’il est tombé, en plein devant la maison du Roi des gnomes.

Et là, en Laponie, il y avait à cette époque un vieux gnome aussi habile comme forgeron que comme orfèvre.  Un artiste!  Il s’appelait Grellodrelinblingclangovitch.  Mais tout le monde l’appelait Grello, c’était plus court, vous comprenez…
Alors quand le Roi des gnomes a trouvé le morceau de comète devant son seuil, il l’a tout de suite apporté à Grello pour que celui-ci en fasse des bijoux pour sa Reine et ses princesses.  Il avait une Reine pas mal coquette, et pas moins de huit princesses, vous imaginez…
Grello a sorti ses outils, son creuset, son soufflet, et il s’est mis en frais de faire fondre le morceau de comète.  Mais voilà, le métal pur de cette météorite n’était pas facile à cuisiner!  Il a fallu du bois, du charbon, que sais-je?  Il a fallu un feu d’enfer pour que la météorite commence juste à s’amollir un peu.  Juste assez pour que Grello le coule dans des petits moules pour en faire des perles creuses.  Il n’y en avait pas beaucoup, je le répète :  à peine assez pour couler trois cent soixante petites perles creuses, plus cinq autres plus grosses.
Quand les perles furent refroidies, Grello prit son petit forêt et entreprit de percer un trou dans chaque perle; il avait l’idée d’en faire des colliers, des bracelets, des diadèmes, en les reliant avec un fil d’argent.

Quand il réussit à percer la première perle, un petit brin de métal tomba à l’intérieur de la petite perle et Grello entendit un joli son, un « ding » ou un « dong », en tout cas un petit éclat de son cristallin comme une étoile dans le ciel d’hiver, doux comme un sourire d’enfant.

Grello continua à percer des petits trous dans les autres perles creuses, et chaque fois un minuscule grain de métal tombait et chantait –mais toutes les perles ne chantaient pas la même note!  L’une était plus claire, l’autre plus grave, plus sourde, plus trémulante…  Quand il agita une poignée de perles, Grello trouva que l’ensemble n’était pas très harmonieux.

Alors il se souvint d’un très jeune lutin qui habitait non loin, et qui était reconnu pour avoir des dons musicaux.  En fait, ce jeune lutin ne savait jouer d’aucun instrument, il ne chantait pas car sa voix était assez rocailleuse; seulement il avait une oreille parfaite.  Il pouvait accorder aussi bien les violons que les flûtes, les tambours que les luths.  Il s’appelait Kling.  Bien oui, le Kling dont je vous parlais tantôt…

Grello alla donc chercher Kling et l’amena dans sa forge-atelier.  Il lui raconta l’histoire des perles (trois cent soixante petites et cinq plus grosses), et lui demanda s’il saurait accorder ces objets.

Kling prit dans sa poche un étui contenant un assortiment de limes, certaines longues comme un doigt d’humain, d’autres fines comme un cil de lutin, et il se mit au travail sans dire un mot.  C’est qu’il n’était pas bavard, le jeune Kling, et ça ne s’est pas amélioré avec le temps…  maintenant qu’il a quelques centaines d’années, il est resté timide et parle peu.  Je me suis laissé dire, cependant, qu’il écrivait un journal…  Mais ceci est une autre histoire.

Il a travaillé durant des heures, puis il a partagé le repas de la famille de Grello, puis il a dormi un peu et s’est remis à limer, poncer, tester, trier.  Je ne sais plus au juste combien il lui a fallu de jours (les jours sont longs en Laponie, avec le soleil de minuit!).  Enfin, un après-midi, il a écouté attentivement le son de la dernière perle, a remis ses outils dans leur étui et s’est étiré longuement, comme un chat qui s’éveille.  Puis il s’est tourné vers Grello qui était en train de graver l’image d’un renne sur le pied d’une coupe en vermeil.

—J’ai fini, a-t-il dit simplement.

Grello s’est approché.  Il y avait huit rangées de 45 petites perles, et une rangée de cinq plus grosses perles.  Grello prit dans sa main les cinq plus grosses perles et les agita un peu…  aussitôt une merveilleuse musique emplit l’atelier, faite de cinq voix minuscules et parfaitement accordées.

—Tu es un grand artiste, jeune Kling, dit-il.  Je te prédis un bel avenir.  Viens, allons trouver le Roi pour lui montrer notre ouvrage.

Ils glissèrent les huit rangées de petites perles dans huit sacs de velours, les cinq plus grosses perles dans un écrin de satin et partirent tous les deux malgré la réticence de Kling, très intimidé par la perspective de rencontrer le Roi des gnomes, et peut-être sa coquette de Reine, et peut-être les huit princesses…
Mais quand ils arrivèrent devant la maison du Roi, ils virent un énorme traîneau rouge attelé de huit grands rennes.

—Tiens, le Roi a de la visite, murmura Grello.

Kling se préparait déjà à faire demi-tour, mais Grello le retint fermement par le bras.

—Je connais ce traîneau, dit-il.  Il appartient à quelqu’un que nous serons contents de rencontrer…

Là-dessus il frappa hardiment à la porte et entra.  On ne fait pas de cérémonies chez les gnomes de Laponie, même dans la maison du Roi.
À l’intérieur il y avait justement toute la famille réunie :  le Roi, sa Reine un peu hautaine et les huit princesses.  Mais il y avait aussi un gros bonhomme tout rieur, avec une longue barbe blanche et une confortable bedaine.  À ses côtés, une très jolie dame et un grand flandrin au regard par en-dessous.  Tout de suite, le Roi fit les présentations :

—Père Noël, dit-il, voici Grellodrelinblingclangovitch, notre orfèvre, et ce jeune lutin s’appelle Kling, je crois.  Ils travaillent justement sur ces perles étranges dont je vous parlais.  Grello, et toi aussi jeune Kling, voici le Père Noël et sa sœur la Fée des Étoiles.  Ah! oui, ajouta-t-il comme à regret, il y a aussi le Père Fouettard, leur frère.

Grello esquissa une sorte de révérence, tandis que Kling, figé dans sa timidité, se contentait de rouler de grands yeux.

—Vous ne le savez pas encore, continua le Roi, mais Saint Nicolas a décidé de prendre sa retraite.  À l’avenir c’est le Père Noël et la Fée des Étoiles qui sont chargés de distribuer les cadeaux à tous les enfants du monde.

—Hum! grommela le grand flandrin de Père Fouettard…

—Ouais, reprit le Roi, sauf bien sûr aux enfants qui ne sont pas sages et qui seront dénoncés par le Père Fouettard…

—Votre Roi nous parlait de perles venues des étoiles, dit doucement la Fée.

—Je ne sais pas si ce sont encore des perles, répondit Grello en posant les sacs de velours et l’écrin de satin sur une table.  En tout cas, grâce au talent du jeune Kling, elles ont maintenant une voix…

—Une voix?  demanda la Reine d’un ton coupant, comment ça une voix?  Comment des colliers et des diadèmes pourraient-ils avoir une voix?

Sans répondre, Grello ouvrit l’un des sacs de velours et versa son contenu sur la table.  Aussitôt une musique s’éleva, faite de 45 minuscules instruments parfaitement accordés.

—C’est la chanson des étoiles, s’écria la Fée en joignant les mains.

—Quelle merveille, dit le Père Noël.

Mais la Reine et les princesses n’avaient pas l’air enchanté.

—On ne peut pas se promener avec des bijoux qui chantent, dit la Reine avec une moue.  Je me demande, Grello, si tu n’as pas gâché ces perles!

—Au contraire, intervint le Père Noël.  Il a donné une voix à ces perles, et justement…  Vous permettez?

Il se pencha à l’oreille de la Fée des Étoiles et lui dit quelques mots.  La Fée lui répondit par un sourire.  Alors le Père Noël se leva et, poliment, demanda à tous de le suivre dehors.  Là, il prit dans le traîneau un gros sac de toile rouge et l’ouvrit.  Alors ce fut comme un éblouissement :  des centaines de diamants se mirent à jeter mille feux sous le grand soleil de Laponie.

—Je vous propose un échange, dit le Père Noël en regardant la Reine et les princesses.  Ma sœur la Fée a cueilli ces diamants sur la neige de la pleine lune.  Je suis sûr que notre ami Grello pourrait vous en faire de merveilleux bijoux…  Quant aux perles qui chantent, je voudrais les attacher aux harnais de mes rennes.  Ainsi, quand je ferai ma tournée, les enfants sages pourront nous entendre passer dans le ciel, et ils penseront que c’est un rêve…

L’affaire fut conclue en un instant :  la coquette de Reine et ses huit princesses se voyaient déjà parées de diadèmes, de colliers, de bracelets tout chatoyants.  Quant au Roi, il était bien heureux de faire plaisir au Père Noël.
Aussitôt, Grello et Kling se mirent en frais de fixer 45 petites perles aux harnais de chacun des grands rennes : Tornade, Danseur, Furie, Fringant, Comète, Cupidon, Tonnerre et Éclair.  Quand ce fut fait, il restait les cinq plus grosses perles.  Le Père Noël en mit une au bout de son bonnet rouge.

—Les quatre qui restent, dit-il, je les garde pour le petit Rudolph qui est resté au Pôle Nord.  Il avait…  Hum!…  Il avait le rhume, disons.  Son nez était rouge comme un lumignon…

À ces mots les rennes s’ébrouèrent avec comme un rire dans leurs yeux…  Et ce fut, pour la première fois, le concert incomparable de toutes les perles sonnant ensemble dans une harmonie parfaite.

—Maintenant, ajouta le Père Noël avec un bon rire, il faut trouver un nom à ces merveilles, on ne peut plus les appeler des perles…  Je pense que dorénavant nous les appellerons des grelots, en souvenir de notre ami Grello!
—C’est bien mérité, en effet, dit le Roi.

—Sire mon Roi, et vous Père Noël, je suis confus de tant d’honneur, répondit le vieux gnome.  Seulement je crains que ces objets soient un peu fragiles.  Ils pourraient se désaccorder…  Il n’y a que le jeune Kling qui puisse les accorder…

—Qu’à cela ne tienne, s’exclama le Père Noël.  Si vous êtes d’accord, monsieur le Roi, et toi aussi mon petit lutin, nous allons prendre Kling avec nous au Pôle Nord et il deviendra officiellement notre accordeur de grelots!
Ainsi fut dit, ainsi fut fait.  

Et c’est depuis ce jour que les grelots existent, et qu’ils chantent en harmonie dans la nuit de Noël, quand le grand traîneau passe au-dessus de toutes les maisons de la terre pour apporter des cadeaux aux enfants sages…

 

commentairesCommentaires

8

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  • MT
    M. Thériault
    temps Il y a 8 ans
    C’est une belle histoire et joliment racontée. Plusieurs passages m’ont amusée. C’est magique… Un vrai beau conte qui me plaît beaucoup. Vous nous gâtez.
  • MD
    Madeleine D.
    temps Il y a 8 ans
    Bravo Richard pour ta grande et belle imagination. En plus, tu as subtilement intégré ce cher Fouettard( grand flandrin au regard par en-dessous),très drôle. A l'avenir quand j'entendrai des grelots, je me rappellerai ce joli conte. Merci.
  • N
    Norbert
    temps Il y a 8 ans
    Bravo c'est une belle histoire
  • A
    Annie
    temps Il y a 8 ans
    Une grande question me turlupine depuis quelques années déjà. Mais où donc allez-vous chercher toutes ces idées pour vos histoires. D'année en année, je n'ai pas l'impression de lire les mêmes mais compte tenu de mon âge, ça peut arriver que j'aie des pertes de mémoire. Qu'à cela ne tienne, vous m'avez encore fait passer un moment de pure magie.

    Ah mais c'est vrai! Vous êtes un ancien lutin! Où avais-je la tête???? Je l'ai bien dit. Ah! Ce que l'âge peut faire à notre pauvre cerveau...
  • R
    Richard
    temps Il y a 8 ans
    @Tous: merci! Si mes histoires vous donnent un moment d'enfance, je suis bien récompensé.
    @Annie: bien sûr, le fait que je sois un ancien lutin et que j'aie encore des contacts privilégiés au Royaume me facilite un peu la tâche. C'est ainsi, par exemple, que j'ai pu avoir accès à une copie du manuscrit des mémoires de Kling. Pour l'origine des grelots, je n'ai pas grand mérite: l'histoire m'a été racontée par Grello lui-même il n'y a pas si longtemps. Pauvre Grello (de son vrai nom Grellodrelinblingclangovitch), il commence à être bien vieux, pas loin de 600 ans je dirais, ce qui est beaucoup même pour un gnome de Laponie! Mais il a encore une excellente mémoire. Alors tu vois, jeune Annie, un cerveau est souvent bien moins affecté qu'on croit par l'âge... Le tien me semble en excellent état, si j'en juge par tes réponses à certaines de mes énigmes!
  • Y
    Yoann
    temps Il y a 8 ans
    Joli conte... à la lecture duquel on ne peut que constater que Rudulph n'avait jamais travaillé chez Paiste, un fabricant Suisse de cymbales , qui avait réussi la prouesse de les colorer sans en altérer le son :)
    Exemples : http://www.drumall.com/shop/pic/etc/paiste_event/2000_ride_turkis_1.jpg
    https://www.pearldrummersforum.com/attachment.php?attachmentid=327222&stc=1&d=1216897000
    et bien sûr celle du batteur du groupe The Police : http://www.altomusic.com/media/catalog/product/p/a/paiste-4005522-0.jpg
  • R
    Richard
    temps Il y a 8 ans
    @Yoann: il faut croire que les cymbales ne sont pas aussi sensibles que les grelots... Surtout les grelots de Pôle Nord!
  • LPT
    Louis-Philippe T.
    temps Il y a 8 ans
    Qu'il est bon de se prélasser à lire un pareil conte en cette période de repos et de réjouissances simples, pleinement humaines, nourries par l'amour filial et l'imagination ancestrale d'un maître conteur ! Félicitations et merci Richard. Ton art de l'évocation touche mon âme et celle de plusieurs.
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