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Manger une table

durée 9 novembre 2016 | 15h11

Assez bientôt, tellement mon chinois s’améliore, je serai prêt pour survivre une semaine au complet à Vancouver sans crever de faim.

Si je commande un riz au porc, je reçois presque toujours des nouilles au bœuf. Ça reste un progrès énorme. Au départ, quand je commandais du poulet, on m’emmenait faire du cheval. J’ai crevé de faim en galopant près de la mer, la larme à l’œil, incompris.

Vous savez comment ils appellent un croissant en chinois ? Le pain qui ressemble à des cornes de bœuf. Partant de cela, comment ne pas adorer la Chine ! C’est surtout l’image d’un bœuf avec deux croissants qui pendouillent plantés sur sa tête. Tendre et touchant.  

Le vendredi midi, parfois, je vais manger avec les étudiants. Près de l’école, il y a un centre commercial japonais et, au 5e étage, un restaurant qui offre des mets typiques de Hong-Kong. La dernière fois nous étions une dizaine et, vers le milieu du repas, je demande à ma voisine c’est quoi la chose la plus bizarre qu’elle a mangée de toute sa vie.

- Deux secondes, je réfléchis. Un nez de porc.

Un gars se joint à nous.

- C’est pas bizarre !

Oui c’est bizarre et je regrette d’avoir lancé cette discussion.

- On fait un concours pour savoir qui a mangé la chose la plus étrange ! Le gagnant se fait payer son repas ! dit une fille au bout de la table.

- Le cou de porc c’est bon aussi, ajoute une autre. Je connais des gens qui mangent de la cervelle de singe alors qu’ils sont encore vivants. Ils les attachent et…

- Arrête. J’ai vu Face à la mort en VHS quand j’avais 11 ans. Ces images me pourchassent encore.

- Les gens à Canton mangent tout ce qui a quatre pattes, sauf les tables, tu savais pas ?

- On dit aussi, ajoute une autre, que les gens ici avalent tout ce qui a du poil, sauf les brosses à dents.

Ça se poursuit avec les pattes de poulet (qu’on mange comme on mange des chips), des vers de terre (« Frits c’est excellent. Et plein de protéines… »), des vers à soie (« Frits c’est excellent. Et plein de… » - C’est bon, c’est bon je comprends le concept), des insectes…

Je demande : Personne n’a mangé de coquerelles j’espère ?

Silence autour de la table.

- Mais oui !

Je bouffe une table au complet avant de manger une coquerelle. Caltore.

Après ça a bifurqué vers «Le plat traditionnel dans ma région c’est…»

- Chez moi c’est une soupe avec un mélange de viande.

- Genre une canne de Chef Boyardi dans de l’eau bouillante ?

- Est-ce qu’il y du chat et du serpent dans ces cannes ?

- Bonne question…

 - Dans le village natale d’un ami, le mets traditionnel c’est la cervelle de lapin.

- C’est comment ?

-  Petit, bon et épicé.

- Épicé… si on me l’avait pas dit, j’aurais pas su.

- Plus au Nord c’est le rat. Tout le rat. La queue frite sert de cure-dent pour quand on a fini.

- Et toi Louis, c’est quoi la chose la plus bizarre que tu as mangée ?

J’ai oublié mon portefeuille donc je dois gagner. Je joue le tout pour le tout (et c’est vrai en plus).

- Des croquettes de poulet de chez McDo.

Silence religieux.

Louis Gagnon du chemin des Raymond : 1

Tous les autres : 0

……

Un poulet mort svp

Les poulets sont dans des prisons au fond du dépanneur et ils attendent la mort. Bien vivants, bien gras. Il suffit d’entrer, de marcher devant les cages et de s’en choisir un.

Lui.

La commis l’attrape, c’est pas son premier et pas son dernier non plus, elle le coince sur la planche de bois et, d’un coup ferme et désintéressé (quand ton bourreau pense à autre chose…), elle sépare la tête du corps. Les autres étapes s’enchainent et on sort en s’essuyant le bord de la face avec une main et dans l’autre un sac de plastique contenant le repas du soir.

Et les autres poulets eux, ceux qui restent dans les cages ? Ils ont tout vu. Leur vie, ce qu’il en reste, ne tiendra plus qu’au choix des clients. Certains poulets se rentrent le ventre par en dedans question de paraître moins gros quand un client parade.

Toffons ce qu’il y a à toffer.

Ça reste plus assumé comme choix alimentaire. Le concept de sacrifice est plus clair aussi. J’ai grandi sur une ferme, j’en ai vu d’autres et des meilleurs, mais ça faisait longtemps.

Tout en se rappelant que chez nous on mange des cuisses de grenouilles, des oreilles de Christ, des queues de castor, de l’orignal (c’est bizarre pour les autres) et des glaçons qui pendent sur le bord des toits, j’évite de juger et j’apprends à dire non, poliment.

Bon appétit.

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